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un arpent et combien on aime le coin de terre qu’on a long-temps ainsi arrosé. Parlez-leur d’un superbe arrangement du monde dans lequel ce coin de terre leur appartiendra pourtant un peu moins ; dites-leur que cet arrangement ne se fera ni demain ni malgré eux, mais qu’après demain peut-être ils le solliciteront d’eux-mêmes, tant il leur paraîtra beau ; dites-leur que vous êtes des gens d’amour et de paix qui les prêchez pour leur bien et non pas pour le vôtre ; soyez habiles comme Escobar et doucereux comme le père Douillet : les grossiers raisonneurs ne consentiront même pas à s’alambiquer l’esprit pour s’amuser à vos tours, et du premier coup ils vous répondront : À bas les communistes ! La réponse est brutale, mais la logique est bonne.

La nécessité de tout socialisme, au sens où les adeptes de mille couleurs ont pris ce mot, qui nous choquera toujours, c’est d’aboutir au communisme par une pente plus ou moins allongée. Ce mot-là sans doute pourrait s’entendre autrement, si on ne l’avait gâté. Nous nous joignons du fond de l’ame à la courageuse protestation que M. Lamennais élève chaque jour contre cette corruption du mot de socialisme ; nous l’en remercions sincèrement ; nous l’en félicitons, comme d’un acte qui honore sa vieillesse en compromettant sa popularité dans une lutte qui lui vaut déjà les outrages d’en bas. Nous nous associons de même et de toute la force de nos sympathies à cette utile campagne que M. Michel Chevalier a commencée chez nous pour la continuer avec tant d’éclat dans la presse quotidienne ; nous lui avons bien du gré de ne point se laisser abattre par l’injuste rigueur qui a voulu supprimer un enseignement si populaire. Si c’est être socialiste que de vouloir introduire dans la société toutes les réformes qui peuvent élever la valeur individuelle de chaque homme sans distinction de naissance et de fortune, oui, nous aussi, nous sommes des socialistes, nous le sommes par les principes de notre raison, par les besoins de notre cœur ; mais s’il s’agit, au contraire, de plier les individus sous le joug d’airain d’une communauté qui, moyennant la confiscation de toute liberté, se chargera d’épargner à ses membres la peine de vivre ; s’il s’agit de rogner en quelque sorte l’individualité humaine et non plus de l’ennoblir, non, nous ne sommes pas des socialistes, et nous répugnons de tout notre être à l’invasion de pareilles doctrines ; nous disons, comme quelqu’un vient hardiment de le dire : Le socialisme, c’est la barbarie. À ce compte-là, ce sont encore les barbares qui ont été vaincus le 16 avril.

Le gouvernement de la république s’est cependant montré plus embarrassé que glorieux au lendemain de cette victoire, et il n’a pas tenu à lui qu’elle ne s’éclipsât derrière une espèce de brouillard diplomatique qui en eût effacé les traits les plus significatifs. C’eût été une grande faute, si ce n’était peut-être une grande prudence. Le gouvernement provisoire aura sans doute pensé que le sens de cette journée était si clair pour tous, qu’on ne risquait rien d’atténuer dans les récits officiels ce que cette clarté pouvait avoir de blessant pour quelques personnes dont il tenait à ménager la situation. Préoccupé du désir d’arriver tout entier, sans encombre, devant l’assemblée nationale, il aura craint d’appuyer trop vivement sur la déroute des prétentions turbulentes auxquelles certains de ses membres semblaient trop directement rattachés. Voilà comment la postérité qui lira le Moniteur du 18 avril sera naturellement exposée à croire que Paris s’est levé le 16 aussi vite qu’un seul homme pour déjouer un complot royaliste, pour faire face à la réaction, suivant le langage des clubs.

Le gouvernement provisoire a même voulu paraître assez en peine de dompter