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LES SYMPÔMES DU TEMPS.




II.

On me demande quel est le but de ces lettres : elles n’en ont aucun, si ce n’est d’observer et de constater. On me demande qu’elles soient plus générales et plus directes. Directes, pourquoi ? Les faits et les choses qui nous occupent dans ce moment bien passager ne sont pas encore assez importans pour qu’on puisse s’y attacher. L’inconnu est devant nous, mais l’état de choses dans lequel nous vivons est un état morne, sans couleur, sans caractère, sans originalité, un grand désert enveloppé d’une atmosphère grise, où de temps à autre s’élèvent quelques légers murmures auxquels on prête l’oreille avec avidité, pensant qu’ils peuvent nous avertir et nous montrer la route ; mais tout à coup le bruit s’est éteint… Passez, ce n’était que le bourdonnement de quelque insecte étourdi. On dirait, en vérité, que c’est pour apprécier cet état de choses que Locke a inventé cette absurde définition du silence : le silence, c’est le bruit, plus l’absence du bruit. On me demande enfin de laisser voir une conclusion ; cela est impossible aujourd’hui plus que jamais. Il y a en France, dans les circonstances actuelles et aussi dans l’aspect général de notre siècle, pas mal de termes contradictoires, comme dirait un homme de grand talent, M. Proudhon, pas mal de thèses et d’antithèses qui manquent de leur synthèse. Que nous reste-t-il donc à faire ? Prendre tous les faits, et, au lieu de nous attacher à chacun pris isolément, essayer, comme nous l’avons fait déjà, d’en montrer la signification collective ; observer les météores qu’engendre l’atmosphère, plutôt qu’énumérer les étoiles filantes assez nombreuses et assez rapides par le temps qui court ; nous demander quels sont les symptômes qu’offre l’état de notre époque. Il est toujours utile de les connaître, afin de ne pas être surpris brusquement.

Les sages de tous les temps ont-ils jamais fait autre chose qu’observer, rassembler et réfléchir ? Les utopistes, au contraire, n’ont jamais rien fait que