Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les faits écoulés. Plus que jamais il importe d’en préciser le véritable caractère, et, au moment où l’enivrement de la victoire et le tumulte du triomphe pourraient le faire oublier, de rappeler à quelles conditions la victoire et le triomphe ont été préparés et obtenus. Les Italiens, qui jusqu’ici avaient marché unis et serrés autour de la même bannière, semblent n’avoir pas la force de porter leur propre succès. Des bruits fâcheux de discorde arrivent du théâtre de la guerre ; avant même que l’ennemi soit réduit à l’impuissance, les partis commenceraient, dit-on, à s’agiter. Ce n’est pourtant que par la fusion des partis et par l’alliance la plus étroite que les Italiens ont pu conduire leurs affaires jusqu’au point où elles sont arrivées, et fonder l’unité morale de la nation. Ce n’est aussi qu’à force de dévouement, de constance et d’abnégation personnelle, qu’ils pourront en fonder l’unité matérielle et géographique.


I

Le mouvement libéral dont le pape Pie IX s’est fait le chef est le fruit d’un travail d’abord lent et souterrain, entrepris par quelques hommes de sens et de courage, qui voyaient moins dans l’insuccès de leurs devanciers un motif de désespérer de la patrie qu’un enseignement salutaire pour éviter les fautes par lesquelles s’était jusqu’alors perdue la cause italienne. Le moment où ce travail commença n’était pourtant en apparence rien moins que favorable. A l’intérieur, l’Italie, lasse de tant d’efforts successifs toujours réprimés, semblait plus que jamais disposée à s’abandonner elle-même et résignée à se faire de son mieux un oreiller de servitude. L’inutilité des prises d’armes et des séditions partielles lui était suffisamment démontrée. D’autre part, la politique générale en Europe n’offrait aucun symptôme sur lequel on pût fonder l’espoir d’une réaction libérale dans les conseils des gouvernemens. C’était en 1843. Un prêtre, inconnu, proscrit depuis dix ans, entreprit du fond de l’exil de relever le courage de ses compatriotes et de leur rendre, avec la conscience de leur force, la foi dans l’avenir. Dans un livre devenu célèbre, M. Gioberti, rompant hardiment avec les théories inapplicables au milieu desquelles le libéralisme italien s’était jusqu’alors fourvoyé, posa le principe de la nationalité et de l’unité fédérative, la seule que les traditions et les mœurs rendissent de long-temps possible en Italie. Pour la réalisation de ce principe, M. Gioberti présentait les moyens les plus appropriés aux temps et aux circonstances. L’Italie avait des princes qu’on ne pouvait chasser : il fallait donc que le peuple unit sa cause à la leur, et cette cause n’était-elle pas la même, celle de l’indépendance nationale ? N’était-ce pas sur les gouvernemens que l’Autriche pesait le plus lourdement ? Les prêtres et avec eux la majorité de la population avaient constamment repoussé les doctrines libérales comme subversives de la foi. L’auteur du Primato renia l’école philosophique qui, en attaquant le catholicisme et la papauté, s’interdisait l’appui et les sympathies populaires ; remontant aux sources historiques, il osa ressusciter un système que l’état actuel de la papauté devait faire paraître une chimère, et proposa cette même papauté, si décriée, comme la tête et la clé de voûte de la future confédération. Par là il se concilia la plus grande partie du clergé et avec lui les masses populaires, sur