Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/456

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle deviendrait, à l’instant où elle serait ouverte, l’objet exclusif des préoccupations des ouvriers, et les arracherait aux agitateurs qui les exploitent. Cette population, beaucoup plus intelligente et meilleure qu’on ne le suppose, se rattacherait bien vite à un gouvernement qu’elle verrait sérieusement occupé de son sort ; l’enquête escompterait, au profit de la tranquillité publique, tous les biens à venir qu’elle promettrait.

Il s’agissait, comme on voit, de constater des faits qui rectifient les idées et non pas d’agiter des théories dans lesquelles elles s’égarent ; mais cela était trop fort et trop franc pour le tempérament du ministère du 11 octobre : il recula devant des éclaircissemens qui eussent raffermi les esprits, en les lestant, s’il est permis de parler ainsi, par la gravité des faits dont les eût chargés l’enquête, et il fit sans bruit quelques recherches dont, avec le temps, diverses conséquences utiles ont été tirées.

Il fut constaté que la fabrique de Lyon, assujettie par sa nature à des intermittences inévitables d’activité et de stagnation, avait rarement eu trois années de suite aussi régulièrement occupées que 1832, 1833 et 1834 ; que le prix des subsistances avait été modéré pendant cette période ; qu’ainsi les troubles n’étaient point fondés sur la coïncidence de la rareté du travail et de la cherté des vivres ; que le salaire journalier de l’ouvrier de Lyon était supérieur à celui des ouvriers occupés de travaux identiques dans les autres manufactures du continent et notamment dans celles de Suisse et de Prusse ; que les associations les plus turbulentes se composaient, non de pauvres ouvriers attachés à la fabrication des étoffes unies et atteignant péniblement un salaire de 1 fr. 25 à 1 fr. 75, mais de maîtres et d’ouvriers gagnant de 3 à 5 francs.

Il était permis de conclure de ces faits que le désordre et la détresse venaient, non de la situation intérieure des ateliers, mais de ce qui se passait au dehors, non de l’abaissement de la rémunération du travail, mais de la manière dont elle était employée : des indices nombreux témoignaient que le goût des distractions dispendieuses était la cause presque unique de la gêne des hommes, et que les femmes sacrifiaient à la toilette, à des plaisirs futiles, bien plus qu’à de véritables besoins. Une passion effrénée de la loterie s’était alors emparée de la population ouvrière : d’après les relevés des comptes du trésor, dans les douze années qui s’étaient écoulées de 1822 à 1833, une somme de 46,793,437 fr. avait été portée aux bureaux de loterie du Rhône ; les mises annuelles s’étaient élevées à 3,899,453 fr., lorsque la contribution foncière du département entier, centimes additionnels compris, n’était que de 2,876,000 fr. Des familles subissaient les plus dures privations pour satisfaire cette fureur de leurs chefs, et l’on devine si les lots gagnés