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compris, même de ceux qui savent l’espagnol, sans des études toutes particulières. Bien que portés par leur esprit querelleur vers les hasards de la mer et des combats, les Jarochos sont trop jaloux de leur indépendance pour se soumettre volontiers à la discipline d’un camp ou d’un vaisseau. C’est encore ce besoin effréné d’indépendance qui leur fait mépriser l’existence modeste et sédentaire du laboureur. La vie errante du pâtre ou du maquignon est celle qu’ils préfèrent, et le machete joue un rôle essentiel dans tous leurs délassemens. Le Jarocho se priverait du plus indispensable vêtement plutôt que du sabre droit, affilé, luisant, qu’il porte à sa ceinture, toujours sans fourreau, et dont il prend plus de soin que de sa propre personne. Ce sabre est plus souvent d’ailleurs dans la main du Jarocho que sur sa hanche. Un point d’honneur futile, le pari le plus insignifiant, tout est prétexte pour ces gitanos du Mexique à des jeux sanglans qui entraînent parfois une longue suite de combats implacables, quand, au lieu de se contenter du premier sang, un des deux antagonistes a donné à son adversaire un coup mortel. Quelques qualités rachètent pourtant les défauts de ces hommes indomptables. Le Jarocho est sobre, franc, loyal et hospitalier envers les blancs (il appelle ainsi les gens d’une classe plus élevée) ; il a le vol en horreur ; il aime le sol où il est né ; étranger à tout instinct cupide, il vit content de peu au milieu d’un pays fertile, où trois moissons couvrent chaque année les champs qu’il ensemence sans les cultiver. Le jeu, la musique, la danse, la poésie, car tout Jarocho est quelque peu improvisateur, se partagent avec l’amour presque tous les instans de cette existence heureuse et facile. L’extérieur du Jarocho porte d’ailleurs un cachet de distinction qui convient à de pareils goûts. L’habitant des campagnes de Vera-Cruz est en général robuste et bien fait. Il a la maigreur nerveuse des races d’élite, et la nature a jeté sur toute sa personne un prestige d’élégance en harmonie avec ce culte chevaleresque voué par le Jarocho à trois objets : son cheval, son épée et sa maîtresse.

Sept ans avant l’époque de mon passage à Manantial et quelque temps après mon arrivée au Mexique, je m’étais déjà trouvé en contact momentané avec cette classe d’hommes ; mais, peu familiarisé avec la langue espagnole, je n’avais pu absolument rien comprendre au bizarre dialecte des Jarochos. Ma dernière mésaventure avait cela de bon, qu’elle me jetait de nouveau au milieu de cette caste exceptionnelle, après un séjour au Mexique qui m’avait suffisamment préparé à l’étudier.

Le lendemain matin, quand je m’éveillai, au moment où le soleil commençait à verser une insupportable chaleur, mon hôte était déjà debout ; la mise élégante et presque recherchée qui avait remplacé son costume de voyageur me rappela que le jour qui se levait était un jour