Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est courte et la main prompte. Je n’ai pas eu l’intention de vous offenser ; mais, si c’est une querelle que vous me cherchez, vous avez trouvé votre homme : malgré la disparité de nos armes, j’essaierai de faire de mon mieux.

Et fidèle à l’habitude de ses pareils, qui ne manquent jamais d’appeler la poésie au secours de leur valeur, il se mit à chanter d’une voix plus éclatante qu’harmonieuse le couplet suivant :

A ese mi competidor
Dile que llevo cortante
Que si tiene jierro y valor
Que se me pare delante[1].

Puis il dégagea sa lame affilée de l’anneau de cuir qui lui tenait lieu de fourreau et mit flamberge au vent.

Une rencontre au milieu des solitudes américaines, avec les oiseaux des bois pour uniques témoins, avait certes son côté chevaleresque ; mais les chevaux que nous montions l’un et l’autre juraient si fort, par leur encolure décharnée et leur allure pacifique, avec nos dispositions belliqueuses, qu’au moment même de croiser le fer, nous ne pûmes, en nous toisant, garder notre sérieux. Le fou rire qui s’était déjà une fois emparé de nous nous reprit de plus belle. Je fus le premier cependant à retrouver mon sang-froid, et je me hâtai de dire au Jarocho qu’après sa protestation contre toute pensée d’offense à mon égard un duel entre nous n’avait plus de motif sérieux et ne pouvait s’expliquer que par des prétentions guerrières fort peu compatibles avec notre chétif équipement. Le Jarocho me tendit la main.

— Je suis fort aise de vous voir satisfait, reprit-il, car aussi bien j’ai une autre querelle à vider, et j’eusse manqué à un grave devoir en me battant avec vous avant d’avoir terminé l’affaire que je laisse en suspens.

Nous reprîmes notre marche après avoir échangé ces explications. Alors, pour donner une autre direction à l’entretien, me rappelant les dernières paroles des deux cavaliers qui s’étaient séparés à l’embranchement des deux chemins :

— Vous avez, à ce que j’ai ouï dire, un fandango demain à Manantial ? demandai-je à mon compagnon.

— Oui, et au diable soit-il ! J’avais promis à ña[2] Sacramenta un nœud de rubans rouges, et je reviens sans en avoir pu trouver le plus petit bout dans les environs. Tout à l’heure, quand vous m’avez rejoint,

  1. « Si je trouve un compétiteur, — je sais manier mon épée ; — s’il a du fer ou du cœur, — il verra qu’elle est bien trempée. » Ces assonances peuvent traduire fidèlement l’espagnol.
  2. Na, abréviation de doña, usitée dans cette partie du Mexique.