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pour loger cette population nouvelle, et représentent déjà un capital de plusieurs centaines de millions ; les indigènes eux-mêmes, étonnés de tant de richesses et d’activité, se laissent entraîner par l’exemple, et abandonnent peu à peu leurs habitudes pour se bâtir des villages. Si ces résultats, bien grands en eux-mêmes, paraissent encore insuffisans, c’est que l’entreprise était immense et sans limites. Supposez qu’au lieu de se répartir sur un pays aussi grand que les deux tiers de la France, tous ces efforts eussent été condensés sur un territoire comme la Corse, ils exciteraient l’admiration du monde entier.

Pour l’immensité de l’Afrique, il est bien évident que l’œuvre, loin d’être finie, est à peine commencée. C’est à ce moment qu’arrive la nécessité des économies ; elle ne saurait arriver plus mal à propos. La crise financière est terrible en France ; que ne doit-elle pas être dans un pays qui n’avait encore qu’une faible production et qui vivait surtout par le budget ! Comment pourra-t-il supporter une réduction quelconque dans les dépenses, quand il avait déjà peine à marcher avec un subside annuel de 120 millions ? Ajoutez à ces dangers certains la possibilité d’une attaque par mer de la part des Anglais, celle d’un soulèvement nouveau de la part des Arabes, et vous comprendrez la gravité de la situation.

Je crois cependant qu’il n’est pas impossible de tenir tête à ces difficultés, mais à condition qu’on donnera à l’Algérie elle-même une plus large part que par le passé dans le gouvernement de ses destinées. C’était déjà chose convenable et utile avant la révolution ; aujourd’hui c’est devenu indispensable. La population civile réclame depuis long-temps des institutions plus libérales, le moment est venu de les lui accorder sans marchander. Toutes les idées d’assimilation progressive, de transition ménagée, ne sont plus de saison. La France a moins d’hommes et d’argent à donner à l’Afrique, elle lui doit en échange plus de liberté. Si quelque chose peut sauver l’Afrique aujourd’hui, comme la France elle-même, c’est la liberté. Quand les liens de l’ancienne société se brisent, quand l’impulsion et la protection ne viennent plus du pouvoir central, il n’y a que le libre effort de tous, l’union de toutes les volontés et de toutes les intelligences, qui puisse assurer encore le salut de chacun.

Le gouvernement provisoire a reconnu cette vérité quand il a donné à l’Algérie quatre représentans à l’assemblée nationale ; la colonie va être admise ainsi pour la première fois à prendre part à son gouvernement. Ce premier pas est considérable ; il n’est pas suffisant. La représentation africaine va jouer un bien faible rôle dans cette assemblée de neuf cents membres appelée à résoudre pour la France elle-même les plus grands problèmes de l’organisation politique et sociale. Sous le dernier gouvernement, l’Afrique pouvait se considérer avec raison