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Depuis ce temps, je n’ai cessé d’observer, d’étudier encore, et je n’étais arrivé qu’à me convaincre de plus en plus des difficultés d’une solution systématique, quand est survenue la révolution de février. Ce coup de tonnerre, qui retentira si long-temps en Europe, a transformé la question d’Afrique comme toutes les autres. Dès ce moment, à mon sens, la France n’a plus le choix entre les différens systèmes ; la grande voix de la nécessité s’est élevée et a tout décidé. Si la monarchie était restée debout, il était déjà douteux que la France, tranquille chez elle, pût continuer l’œuvre colossale qu’elle avait entreprise, la prompte fondation d’un empire européen sur ces plages barbares ; elle y avait déjà englouti un milliard qui avait laissé une large brèche dans ses finances ; pouvait-elle en jeter encore un second, peut-être un troisième, pour achever son travail ? J’en doutais hier ; aujourd’hui, je ne doute plus. La république a commencé par suspendre une partie de ses paiemens ; il faut qu’elle liquide ses affaires, et l’Afrique est, de toutes les charges de la monarchie, celle qui imposait le plus de sacrifices sans compensation : c’est une des premières à réformer.

Faudra-t-il donc évacuer l’Afrique ? Non, sans doute ; mais il faudra de toute nécessité restreindre considérablement les dépenses qu’elle nous coûte. Si une conséquence de la révolution me paraît évidente, c’est celle-là. On a beaucoup parlé des gaspillages financiers de la monarchie ; quand on entrera de sang-froid dans l’examen des faits, on verra que ces prétendus gaspillages avaient tous pour but la grandeur et la prospérité de la France. S’il est cependant une dépense qui ait passé les bornes, qui mérite jusqu’à un certain point les reproches d’imprévoyance faits au dernier gouvernement, c’est l’Afrique ; sérieusement, la mère-patrie ne comptait pas assez quand il s’agissait de cet enfant prodigue, dont la jeunesse ardente et pittoresque amusait ses loisirs et flattait son orgueil. Le plus clair de notre substance a passé en représentations militaires et coloniales. Rien n’était plus brillant sans doute, plus curieux ; l’avenir même, je n’en doute pas, eût fini par payer les témérités du présent ; mais cet avenir était bien éloigné, et ce qui ne l’était pas, c’était le fardeau qui pesait sur nos finances.

Je ne veux pas dire par là, bien s’en faut, que le milliard absorbé en dix-sept ans ait été complètement perdu. De véritables prodiges ont été accomplis, surtout depuis 1840. La guerre a été menée par le maréchal Bugeaud avec une vigueur qui a frappé d’une stupéfaction profonde les races les plus belliqueuses du monde entier ; après les travaux de la guerre sont venus ceux de la paix ; des villes européennes sont sorties de terre comme par enchantement, des routes se sont ouvertes, des ponts se sont construits, une population entreprenante est venue s’implanter au milieu des tribus les plus hostiles, depuis la côte jusqu’au désert ; plus de vingt mille maisons ont été bâties