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applications. Fort rigoureux quant à certains produits, il est d’une assez grande modération pour quelques autres. Il s’en faut bien, en effet, que les mêmes principes aient constamment prévalu. Les lois si nombreuses qui ont constitué nos tarifs ont varié selon les circonstances, selon les dates, en sorte qu’elles forment dans leur ensemble une sorte de régime bigarré, où l’on trouve, s’il est permis de le dire, un peu de tout. Rien de plus simple donc, et de plus naturel en même temps, que de raisonner par analogie de telle partie de ce régime à telle autre, en ayant égard seulement aux différences vraiment rationnelles qui peuvent s’y rencontrer. Il n’en faut guère davantage pour déterminer d’avance d’une manière assez précise les conséquences de toutes les réformes partielles ou générales que l’on voudrait tenter.

Un exemple fera mieux saisir notre pensée. L’industrie des tissus comprend quatre branches principales : la filature et le tissage du coton, de la laine, de la soie et du lin. En principe, ces quatre grandes industries devraient être traitées de la même manière et jouir d’une protection égale. C’est ce qui serait arrivé sans aucun doute, si les lois qui s’y rapportent avaient été faites dans le même temps et sous les mêmes inspirations. Au lieu de cela, on trouve dans le régime qui les concerne des inégalités frappantes. Par rapport aux articles en coton, fils et tissus, c’est la prohibition absolue de l’importation étrangère, excepté pour un petit nombre de produits hors ligne, comme les fils d’une extrême finesse, les tulles et les dentelles, dont il était impossible d’arrêter la contrebande, et les nankins. Par rapport aux articles en laine, c’est encore la prohibition, mais avec des exceptions déjà plus nombreuses, qui s’appliquent à une espèce de fils et à plusieurs sortes de tissus, comme les couvertures, les tapis de pied, les articles de passementerie et de rubannerie, etc. Les droits qui remplacent pour ces articles la prohibition absolue sont, au surplus, fort élevés. Quand on arrive, au contraire, aux articles en soie on en lin, le régime change, il devient relativement très modéré. Plus de prohibitions absolues. Pour les soieries, les droits varient de 10 à 15, 20 et 25 pour cent de la valeur et ne vont guère au-delà. Pour les articles en lin ou en chanvre, fils ou tissus, c’est environ 25 pour cent sur les provenances de l’Angleterre, 12 à 13 pour cent sur les provenances de la Belgique. Pourquoi des différences si grandes entre des industries semblables et placées à peu près dans les mêmes conditions ? L’unique explication raisonnable qu’on en puisse donner est dans la date des lois qui s’y rapportent ; car, s’il y avait aujourd’hui une différence à faire entre ces industries, ce n’est certainement pas en ce sens qu’elle serait établie. Les prohibitions datent de l’époque de nos guerres, et c’est tout dire[1] :

  1. Les prohibitions pour les fils et tissus de laine ou de coton datent du 10 brumaire an V. Voici, pour ce qui regarde particulièrement les fils de coton, une histoire abrégée du tarif. La loi du 15 mars 1791 en avait permis l’importation aux droits de 1 fr. 23 cent. ; ou 4 fr. 59 cent. le kilog., selon les provenances. La loi du 10 brumaire an V les prohiba. Plus tard, un arrêté consulaire du 6 brumaire an XII, confirmé par une loi du 22 ventôse même année, en permit de nouveau l’importation aux droits de 4 fr., 4 fr. 50 cent., 5 fr. et 6 fr. le kil., selon les numéros. En 1806, un décret impérial du 22 février, confirmé par une loi du 30 avril suivant, prohiba les fils de coton pour mèches, en admettant les autres au droit de 7 fr. le kilog. En 1809, un décret impérial du 22 décembre prohiba de nouveau tous les fils sans distinction. Cette prohibition générale fut maintenue jusqu’en 1834, époque où une ordonnance du 2 juin, confirmée plus tard par la loi du 2 juillet 1836, permit l’importation des fils d’une extrême finesse, au-dessus du n° 143 métrique, aux droits de 7 fr. et 7 fr. 70 cent. pour les fils simples, 8 fr, et 8 fr. 80 cent. pour les fils retors. C’est ce dernier régime qui est encore en vigueur.