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n’a été que le prélude. Sans doute, toute tentative de ce genre échouera tant que les moines conserveront leur ascendant victorieux sur les Indiens, tant que les classes les plus nombreuses, qui souffrent de tous ces actes, de toutes ces injustices, ne se lèveront pas d’un commun accord ; mais le jour de ce réveil est-il bien éloigné ? Peut-être d’officieux rivaux sauraient hâter le dénouement d’une crise qui marche trop lentement à leur gré. Aussi croyons-nous devoir rappeler, en finissant, quels sont les intérêts européens qui s’agitent aux Philippines. L’archipel peut devenir tôt ou tard le théâtre d’événemens qui ne surprendront pas l’Angleterre, et qui devraient ne pas surprendre la France.

L’Angleterre n’ignore pas quelle est la situation actuelle des Philippines. Tout occupée de s’ouvrir de nouveaux débouchés dans l’extrême Orient, elle a depuis long-temps jeté les yeux sur des îles qui lui offriraient, dans ces lointains parages, un centre précieux d’action et de ravitaillement. Une circonstance particulière s’ajoute pour elle à ces considérations. Le commerce anglais n’a pas renoncé à s’assurer quelque jour, soit par ruse, soit par violence, l’accès du Japon, de ce grand et puissant empire où l’Europe n’est encore représentée que par la petite factorerie hollandaise de Décima. Si jamais la persévérance de l’Angleterre arrivait de ce côté à ses fins, il faut convenir qu’elle serait admirablement servie par la possession des Philippines. Considéré en lui-même, cet archipel a de quoi suffire d’ailleurs à l’ambition commerciale la plus exigeante ; il renferme quatre millions d’habitans, soumis déjà à tous les besoins de la vie européenne. Il ne s’agit pas là, on le voit, d’une médiocre affaire. Des notes envoyées à la cour de Madrid, des insinuations assez étranges dans les journaux espagnols au sujet de l’abandon des Philippines, certains discours de lord Palmerston à la chambre des communes, répandent déjà une assez vive lumière sur les vues du cabinet britannique relativement à cette question, dont la gravité augmente avec l’insouciance croissante de l’administration espagnole et la misère des populations de l’archipel.

L’Angleterre réussira-t-elle dans ses projets ? Si un fait aussi considérable que la cession des Philippines au royaume-uni devait jamais s’accomplir, la France ne saurait négliger plus long-temps de s’assurer dans les mers de Chine un port, un point de relâche digne de son commerce et de sa puissance. Toute guerre qu’il faudrait soutenir sur ce point du monde, où peuvent s’élever d’un jour à l’autre de graves conflits, serait nécessairement une guerre de course, et dans ce cas Mayotte, Otaïti, les Marquises, seraient des stations bien éloignées les unes des autres, pour satisfaire aux légitimes exigences du pavillon national dans le vaste espace compris entre le cap Horn et le cap de Bonne-Espérance. Une position comme celle des Philippines, qui donnerait la clé des mers de l’Indo-Chine et du Japon, compléterait admirablement un système d’attaque dont Mayotte et Otaïti formeraient les points extrêmes. Nos croiseurs trouveraient ainsi, dans toutes les mers de l’Asie orientale et de l’Océanie, des ports de relâche dont le blocus serait rendu impossible, soit par les ouragans du canal de Mozambique comme à Mayotte, soit par les typhons de la Chine, les écueils et les courans, comme à Manille et à Otaïti.

Cette importance des Philippines, comme établissement militaire, avait été comprise par le duc de Choiseul, celui des ministres de l’ancienne monarchie