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depuis assez long-temps ainsi au milieu d’un silence profond qu’interrompaient seuls les tintemens de la clochette de la jument conductrice, les chansons des soldats et le piétinement des mules sur la chaussée. Resté moi-même sur le flanc du convoi, je repassais dans mon esprit les incidens de la matinée ; la disparition du majordome, les mules déferrées, leur ardeur subitement ralentie, me paraissaient, au milieu du brouillard ténébreux qui nous enveloppait, autant de symptômes alarmans. Au moment où je me demandais si la trahison ne veillait pas autour de nous, je fus rejoint par mon valet Cecilio.

— Seigneur maître, me dit-il à voix basse, si vous vouliez m’en croire, nous ne resterions pas une minute de plus ici, car il va s’y passer des choses étranges.

— Et où aller, lui dis-je, quand on ne voit pas à deux pas devant soi au milieu de ces rochers et de ces ravins ? Mais qu’y a-t-il enfin ?

— Il y a, seigneur maître, que Victoriano, et j’ai peut-être été le seul à le remarquer, vient de se glisser parmi nous ; cela ne veut rien dire de bon. Sa chute n’est donc qu’un mensonge.

— En es-tu sûr ?

— Je l’ai vu ; mais ce n’est pas tout : il y a un quart d’heure environ, j’étais en arrière, comme cela m’est arrivé tous les jours avec mon damné cheval, quand deux cavaliers me dépassèrent sans me voir, car j’étais caché par un bloc de rocher. L’un d’eux montait un trop magnifique cheval noir pour être un voyageur pacifique…

— Un magnifique cheval noir ? interrompis-je en pensant au ranchero qui observait si flegmatiquement à Mexico le départ du convoi.

— L’autre, reprit Cecilio, montait une mule de selle et portait le costume d’un muletier, et, si j’ai bien compris ce qu’ils disaient, le majordome doit être leur complice.

— Et que sont devenus ces cavaliers ?

— J’ai tout lieu de croire que, grace à l’obscurité, ils se sont mêlés à l’escorte, il est facile de deviner pourquoi, et probablement ils ne sont pas seuls, car ces ravins peuvent cacher une cuadrilla (bande) tout entière. Si votre seigneurie m’en croit, nous laisserons s’éloigner le convoi sans nous.

— Non pas, dis-je, et je cours prévenir le capitaine.

— Et qui vous dit, seigneur, que le capitaine n’est pas leur complice ?

Je ne répondis pas. Ce n’était pas le moment de discuter, mais d’agir. Sans me rendre compte de ce qu’il pouvait y avoir d’injuste ou de fondé dans les soupçons de Cecilio relativement au capitaine, je piquai des deux pour atteindre au moins l’arriero et l’avertir. Je rejoignis, non sans peine, les derniers soldats de l’escorte, puis je marchai bientôt à côté de quelques-unes des mules ; les autres formaient encore une