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des Philippines depuis Mindanao jusqu’à Manille, dont la haie a vu plus d’une fois leurs pros audacieux. Les différentes tribus qui peuplent ces îles appartiennent sans mélange à la grande famille malaise, répandue des îles de la Sonde jusqu’au grand archipel d’Asie. Leurs chefs, appelés rajahs à Basilan et dattoos à Sooloo, vivent indépendans les uns des autres et ne reconnaissent que la suprématie lointaine du sultan de Sooloo, à qui ils paient même un léger tribut, tribut volontaire, imposé par le souvenir de l’antique puissance du sultan, dont l’empire, limité à présent à sa capitale, s’étendait autrefois jusqu’à Palaouan et à Bornéo, et dont l’autorité, jadis absolue, est soumise aujourd’hui à l’influence toute puissante des dattoos qui l’entourent. La ligue de ces chefs de tribu forme maintenant le seul pouvoir politique dans les trois archipels. Réunis en conseil, ils discutent les affaires, décident de la guerre ou de la paix, et de la conduite à tenir avec les navires de guerre ou marchands qui osent braver les périls de ces parages. Leur décision arrêtée, ils l’imposent au sultan, et s’ils le laissent régner encore, c’est que son titre a conservé sur les populations de ces îles lointaines une partie du prestige attaché à la grandeur de ses aïeux.

La population des trois archipels, disséminée sur les îles sans nombre qui les composent, s’élève à peine à cinquante mille guerriers et à dix ou douze mille esclaves espagnols qui ont renié la foi catholique et qui vivent parmi les Moros, plus libres, plus heureux que dans leur patrie. C’est devant cette population si faible, devant ces guerriers armés de lances et de criss, bien rarement de fusils rouillés et en mauvais état, devant ces tribus isolées, souvent désunies, qu’une puissance européenne semble s’humilier et s’avouer vaincue, alors qu’elle peut les combattre avec quatre millions d’Indiens animés, dès leur enfance, d’une haine profonde contre les moros, avec des frégates et des chaloupes canonnières, avec tous les moyens de destruction de l’Europe civilisée. Aussi, chaque année, à des époques périodiques que marque le retour des moussons, les pros malais ravagent toutes les côtes de l’archipel et poussent l’audace et le mépris des Espagnols jusqu’à enlever leurs sujets dans la baie, dans les rues de la capitale, croisant, sans crainte des faluas qu’ils enlèvent à l’abordage, devant les principaux ports de l’archipel. Nous-mêmes, sur la corvette la Sabine et la frégate la Cléopâtre, nous avons été attaqués à l’entrée de Manille par ces hardis pirates, qui prenaient sans doute nos bâtimens pour des navires espagnols.

Une seule des expéditions dirigées par l’Espagne contre ces peuples a réussi c’est celle de Bustos, en 1768 ; toutes les autres ont échoué. Ces défaites successives ne peuvent être attribuées qu’à l’impéritie, à l’imprévoyance, car deux corvettes françaises, la Sabine et la Victorieuse, ont suffi, en 1844, pour détruire la plus puissante des tribus de Basilan où un de nos officiers était mort traîtreusement assassiné, tandis qu’à la même époque, la frégate espagnole l’Esperanza, suivie d’une flottille nombreuse de faluas, essuyait devant Balanguingui un désastre complet, après lequel les Espagnols prirent la fuite et se retirèrent à la hâte à Zamboangan, laissant les côtes des Philippines exposées sans défense à la merci d’un ennemi furieux.

Aux Philippines, l’administration espagnole se présente donc sous ce double aspect : favoritisme, ignorance et superstition au dedans, faiblesse au dehors. Dans l’ombre se préparent des conspirations dont la révolte de Novalès, en 1823,