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nombre a une profession avouée, et cependant tous portent, avec le rosario de corail, monté en or ou en argent, les tissus les plus fins de nipis et d’abacca ; tous étalent dans leur costume comme dans leurs habitations une singulière profusion d’objets rares et précieux.

Un fléau inséparable de la misère, la prostitution, désole la population indienne de Manille. Cette corruption infâme s’arrête heureusement aux faubourgs de la capitale, et n’a point pénétré dans les provinces, surtout dans celles des Bissayas et de Mindanao. Là, au contraire, des mœurs simples et honnêtes forment un contraste plein de charme avec le dévergondage de Manille. Heureux sous l’administration espagnole, malgré tous ses abus, les paisibles Indiens des Bissayas et de Mindanao, si l’on en excepte ceux de Zamboangan, aiment encore le joug qu’il ont accepté, sont encore dévoués à leurs padres, dont le pouvoir est loin de Manille, plus juste, plus bienveillant qu’à Luçon. Néanmoins, entraînés par les liens d’une commune origine, ils imiteront en tout la conduite des Indiens de la capitale, et, ne le feraient-ils pas, à quoi servirait à l’Espagne, dans l’intérêt de sa domination, la fidélité des habitans de provinces incultes, où elle n’a fondé aucun établissement commercial ou militaire capable de contrebalancer l’influence de Manille ?

Tel est l’état moral de la population espagnole et indienne aux Philippines. Le gouvernement de la métropole aurait de graves devoirs à remplir, on le voit, pour triompher des mauvaises influences qui pèsent sur les créoles comme sur les indigènes. La plupart des possessions espagnoles au-delà des mers ont été soumises au régime monacal ; mais pour la plupart aussi un moment est venu où, ce régime cessant d’être praticable, une révolution violente s’est accomplie aux dépens de la métropole. Deux colonies seulement ont échappé à cette crise, Cuba et les Philippines. Il a été donné à la société cabane de se développer pacifiquement et de passer sans secousse d’une ère d’ignorance à une ère brillante d’activité intellectuelle. Pour les Philippines, il n’y a eu encore ni crise violente, ni changement pacifique. Tout y est resté dans un statu quo qu’il n’est plus permis de regarder comme durable pour peu qu’on interroge l’histoire coloniale de l’Espagne. Il nous reste à préciser en peu de mots l’organisation administrative sur laquelle repose la domination espagnole aux Philippines et à montrer combien les intérêts mêmes de l’Espagne souffrent du maintien d’un système désormais jugé par ses résultats.


IV

Ainsi que nous l’avons dit, Luçon, les côtes des Bissayas, et quelques points isolés sur l’île de Mindanao, forment seuls les possessions des Espagnols aux Philippines. L’ensemble de ces possessions ; ou plutôt l’archipel entier, a été divisé en trente-deux provinces ou alcadies régies par des alcades ou corrégidors. Luçon comprend à elle seule dix-sept de ces provinces, Panay trois, Mindanao trois aussi. Les autres îles forment à peine un seul de ces gouvernemens. En 1842, époque du dernier recensement espagnol, la population totale de ces provinces était portée à 3,343,190 habitans, non compris la population des îles Mariannes, qui comptent parmi les trente-deux provinces, mais qui sont trop éloignées des Philippines pour avoir une part sérieuse dans les destinées de la colonie. Ce