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pourrait affirmer qu’il n’est personne dans l’immense majorité de la population, personne qui ait le cœur dispos, comme l’avaient les hommes de 89 quand ils se mirent à l’œuvre. C’est qu’en 89, d’un bout à l’autre du territoire, la nation se levait avec une spontanéité admirable ; c’est qu’elle s’associait tout entière dans une même pensée d’enthousiasme et d’espérance.

Nous autres, nous n’en sommes pas là. La France de 89 allait à l’inconnu, comme nous y allons ; mais elle y marchait d’entrain, parce qu’elle y voyait à bon droit l’avènement de ses idées les plus chères et les plus fécondes. L’inconnu qui s’ouvre brusquement devant nous n’a rien qui nous attire si fort, et nous craignons, au contraire, à tout moment d’en voir sortir les idées fausses qui menacent maintenant la société humaine. Interrogeons seulement la conscience commune : qu’est-ce qu’on attend surtout de la future assemblée ? N’est-ce pas qu’elle s’installe comme un pouvoir modérateur qui sache diriger et préserver ? Ce qu’on demandait à l’assemblée nationale en 89, c’était qu’elle entreprît d’édifier tout ; ce que l’on demande le plus instamment à celle-ci, n’est-ce pas qu’elle empêche de tout détruire ? Il y a par malheur dans ces vagues appréhensions une sorte de langueur qui éteint l’activité politique. Les bras vous tombent devant cette perspective obscure où l’on pressent des dangers à repousser, mais où l’on n’aperçoit point encore la forme palpable sous laquelle ils se produiront. On cherche des points de repère, on n’en découvre pas ; on voudrait s’appuyer à quelque chose, il semble que tout manque à la fois. La révolution de février est la première après laquelle il ne se montre point immédiatement de partis aux prises ; il y a beaucoup d’individus qui se remuent, il n’y a point de partis organisés, ou plutôt il n’y en a qu’un seul, le parti du gouvernement, et celui-là pourtant auquel tout le monde se rattache, les uns de plus près, les autres de plus loin, celui-là n’a pas même de caractère positif, de but assuré. On comprend que l’on ne peut rien pour le bien de l’avenir sans le concours du gouvernement ; on ne sait pas du tout ce que l’on pourra jamais avec lui. Il parait en même temps insuffisant et nécessaire ; on le considère comme un dernier rempart contre des tempêtes toujours plus imminentes, et l’on doute toujours davantage de sa consistance. On souhaiterait sincèrement qu’il fût entouré de la confiance générale, et on le voit avec inquiétude se retrancher de plus en plus dans un isolement systématique. C’est un grand désarroi qui trouble jusqu’aux plus vaillans et les dégoûte d’agir, tant leur action semble avoir peu d’effet au milieu de ce hasard, qui va peut-être tout conduire en l’absence trop visible d’une conduite mieux raisonnée.

Quel est le mot de cette pénible situation ? Nous jugeons utile de dire ce que nous y pensons démêler. Nous n’attachons ni une importance excessive, ni une foi sans bornes aux révélations qui sont des représailles ; mais elles ont cependant leur autorité, quand elles viennent divulguer le dessous des cartes dont le public a déjà pu deviner quelque chose à la simple inspection du dessus. Des précédens qui sont de notoriété commune, des bruits déjà vieux, des colères récemment épanchées, ont fini par jeter une certaine lumière sur les conditions dans lesquelles se meut aujourd’hui le gouvernement de la république. Regardons le mal en face : on y remédie mieux ainsi qu’en évitant d’en rien connaître.

Il y a eu de tout temps, dans l’ancien parti républicain, une division fondamentale qui avait trouvé, pour s’exprimer, des organes toujours divers et par-