Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtenu par ces délicieuses esquisses. Sous ce rapport, le proverbe d’Une Porte ouverte n’a rien eu à envier à celui du Caprice. Un rire franc, entremêlé de sympathiques sourires, a constamment accueilli ces jolis mots, ces vives réparties, cette aimable stratégie d’une femme aux prises avec un homme secrètement préféré, et ne disant son dernier mot que lorsque la porte est enfin ouverte ou fermée. Un détail bien remarquable dans ces comédies de M. de Musset, c’est la justesse parfaite avec laquelle il reproduit, non pas la vie factice qu’on nous donne trop souvent au théâtre pour la réalité, mais la véritable vie mondaine, la vraie façon dont les choses se passent dans ce qu’on appelait autrefois la bonne compagnie ; une seule dissonance m’a choqué, c’est ce mot marquise ! répété trop souvent à la jeune femme par son élégant partner. Je signale cette fausse note, parce qu’il est très rare d’en trouver chez M. de Musset.

Le succès d’Une Porte ouverte a donc été aussi complet que si les assistans, pour s’amuser et applaudir, n’avaient pas eu à la fois à se ressouvenir et à oublier. À voir le plaisir des spectateurs, le charme répandu par le poète sur ces détails de mœurs si loin de nous, on eût dit ces rayons lointains, épars, qui, après le soleil couché, dorent et égaient encore les cimes. Ajoutez que Mme Allan, fort bien secondée par M. Brindeau, a joué d’une façon ravissante ce rôle de jeune femme qui n’est pas sans quelque affinité avec celui de Mme de Léry, mais qui s’en dégage et se précise par cette lutte secrète entre la gaieté qui lui sert d’armure et cette affection qu’elle n’avoue qu’au dernier moment. Mme Allan est vraiment l’actrice et l’interprète de M. de Musset ; elle a le secret de ces saillies imprévues, de ces fines réticences, de cette gracieuse escrime où il est impossible de parer, de rompre et de porter coup plus à propos. Espérons que ce succès engagera la Comédie-Française à puiser encore dans ce répertoire si original et si riche, et encouragera surtout M. de Musset à demander à sa verve plus insoucieuse que lasse une inspiration nouvelle. La réussite de ses deux proverbes, dans des circonstances et des conditions si différentes, doit parler plus haut que nos éloges et nos conseils. Si les habitudes toujours un peu routinières d’une société oisive, si les préoccupations trop légitimes d’un moment de crise sociale n’ont pu prévaloir contre les irrésistibles séductions de ces deux ouvrages, c’est qu’il en est d’un esprit tel que le sien comme de cet amour dont il nous parle dans son dernier proverbe : tout ce qui l’entoure, tout ce qu’on prend pour lui, tout ce qui lui sert d’accessoire et de cortége, tout cela passe, tout cela est fugitif et périssable ; mais l’amour est immortel. L’amour est mort ! vive l’amour ! s’écrie M. de Musset. L’esprit est mort ! dirons-nous à notre tour en songeant à celui que tuent et peut-être aussi à celui qu’apportent les révolutions ; vive l’esprit ! redirons-nous en revenant à notre cher poète.


ARMAND DE PONTMARTIN.