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LS SYMPTÔMES DU TEMPS.




I.

Dans une époque aussi pleine de mouvemens et de révolutions, il est inutile de prédire. Abstenons-nous donc de toute prophétie, et, dégageant l’idée du milieu du tumulte et les lignes principales du brouillard qui les voile, notons les signes les plus apparens, décrivons les symptômes de santé et de maladie du corps social. Peut-être, dans cette simple étude de la réalité et du présent, découvrirons-nous quelques lueurs d’idéal et d’avenir.

La science des signes et des symptômes, dans l’ordre politique, semble avoir été inconnue à la plupart des hommes d’état. Tous entièrement livrés à leur système, à des idées préconçues, ils dédaignent cette astrologie politique. Lorsqu’une idée leur est un obstacle et les arrête, ils regardent son costume, et, si ce costume n’est pas strictement officiel, ils passent, rient et croient avoir franchi la difficulté. Franchi, oui, mais non pas conquis. Ils tâtent le pouls aux affaires matérielles et croient connaître les symptômes de santé et de maladie du corps social, lorsqu’ils savent au juste quels sont les cours de la Bourse, la hausse et la baisse des fonds. Hélas ! ce ne sont là que les signes superficiels. Mais les hideuses maladies du cœur qu’on ne peut observer et qui minent sourdement, mais les défaillances et les phthisies de l’ame qui ne contrarient en rien la santé du corps, et qui même servent quelquefois à l’engraisser et à lui procurer un sommeil sans trouble, ils ne s’en inquiètent pas. Quand donc nous arrivera un gouvernant qui ne demandera pas comment se sont faits les paiemens de la fin du mois, mais bien plutôt quel a été durant ce dernier mois le bilan moral de la patrie ? A sa place, je ne m’enquerrais pas des signes extérieurs, mais je m’informerais de toutes les vérités perdues et de toutes les idées nouvelles conquises. Je ne dédaignerais pas les plus légers signes ; je m’informerais de toutes les plaisanteries, de tous les motifs de larmes, de tous les sujets d’éclats de rire, de toutes les sensualités, de toutes les folies, de tous les changemens de mœurs, car rien ne se perd jamais dans ce monde. Cette plaisanterie, en apparence frivole, et qui porte cependant sur tel sujet sérieux, qu’indique-t-elle ? Que le respect de telle ou telle chose est bien près de se perdre ; que cette plaisanterie, d’abord comique et tout individuelle, répétée par mille bouches imprudentes, écoutée par mille oreilles oisives, se changera peu à peu en un bon mot vulgaire et