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des arts, qui de sa nature est essentiellement aristocratique, L’égalité dans les arts, c’est l’uniformité, c’est l’ennui, c’est la souveraineté de la médiocrité. C’est elle qui, cette année encore, a fait invasion dans les salons du Musée, et qui couvre de ces imitations maladroites, de ces compositions sans verve et sans originalité, la meilleure partie des merveilles du Louvre. Ce n’est qu’à de longs intervalles qu’on se trouve arrêté par une œuvre originale, par l’appel d’un chef de ligne. Où sont ces novateurs audacieux, ces natures fortes et privilégiées qui se pressaient dans d’autres temps aux abords du vieux Louvre ? A l’exception de MM. Eugène Delacroix et Diaz, la plupart ont fait défaut. MM. Ingres, Delaroche, Couture, Decamps, Jules Dupré et d’autres encore n’ont pas répondu à l’appel de la liberté et se sont aristocratiquement tenus à l’écart. Aucune force inconnue ne s’est révélée, aucun homme nouveau n’apparaît, rien qui se dresse hardiment au-dessus du niveau commun.

E com’ albero in nave si levo[1].

Les artistes chercheurs et les talens entreprenans sont cependant nombreux au Musée, mais aucun d’eux n’a fait de ces rencontres éclatantes qui classent un homme et font vivre son nom. MM. Diaz, Millet, Haffner, Chasseriau, Picou, Muller et Gérôme sont ceux dont les tentatives approchent le plus du succès. M. Diaz de la Péna est toujours l’admirable faiseur d’esquisses que nous connaissons. Il atteint à la réalité par l’à-peu-près et par les plus singulières combinaisons de clair-obscur. On dirait qu’au lieu d’un pinceau il promène sur sa toile un rayon de soleil, qui en fait saillir des formes vivantes et comme mobiles, et qui donne à son coloris une sorte de chatoiement surnaturel.

Cette fois cependant, mais particulièrement dans ses compositions principales, le Départ de Diane pour la chasse et Vénus et Adonis, il a abaissé de quelques tons sa gamme éblouissante, et il semble avoir voulu dessiner avec autre chose qu’avec l’ombre et la lumière. Il a même visé au style dans son tableau du Départ de Diane ; mais le style lui tient rigueur, comme à la plupart des coloristes de fantaisie, à commencer par Rubens et Titien. Sa Diane et ses nymphes sont de simples mortelles, aux allures assez équivoques, et la forme, accusée par larges méplats lumineux, a quelque chose de singulièrement hasardé. C’est le grand parti pris de Corrége, modifié par Prudhon, appliqué à des compositions fort restreintes, abstraction faite de la grace et sans grand souci de la correction. M. Diaz est un grand peintre qui a besoin de se compléter, non par une vaine recherche de la ligne incompatible avec sa nature aventureuse, mais par une ferme résolution de modérer ses qualités et de supprimer ses défauts.

  1. Dante, Inferno, c. XXXL.