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Après avoir lu, la malheureuse mère demanda à Dieu de mourir, mais ce ne fut que le désespoir d’un instant ; deux de ses filles pouvaient être sauvées ; elle les attira à elle, et leur transmit la nouvelle à voix basse.

Toutes trois eurent le même cri : — C’est à moi de rester !

L’une objectait qu’elle était l’aînée et devait, à ce titre, soutenir sa mère jusqu’au dernier instant ; l’autre, encore trop jeune pour avoir pris goût à la vie, était prête à en faire l’abandon ; la troisième, enfin (c’était Céleste), se déclarait atteinte d’un mal impossible à guérir. Toutes trois parlaient avec larmes et prières, suppliant la mère de prononcer ; mais la mère, incertaine entre ces amours égaux, sentait sa tête s’égarer et ne pouvait choisir. Cependant la nuit avançait ; tous les prisonniers s’étaient endormis, le geôlier allait venir.

— Parlez, parlez, ma mère ! murmuraient les trois voix.

— Non, balbutia Mme Boguais, non… pas moi, mais Dieu !… Priez !

Toutes trois se redressent sur leurs genoux, les mains jointes et la tête penchée vers la malade, qui répète, pour elles, la sublime prière des simples : Notre père qui êtes aux cieux. Tout à coup une porte s’ouvre, des pas approchent, deux ombres paraissent. L’une se penche, reconnaît Eulalie et l’entraîne ; l’autre hésite un instant ; elle prononce le nom de Céleste. La jeune fille lève instinctivement la tête ; elle est aussitôt saisie, emportée, tandis que sa sœur Rosalie et Mme Boguais, qui ont étouffé leurs sanglots, restent évanouies dans une douloureuse étreinte.

Les deux sœurs enlevées séparément se retrouvèrent derrière la prison, où Céleste reconnut dans son libérateur Maurice Ragueneau. Elle voulut parler, mais il lui imposa silence, mit un rouleau de louis dans la main de Fructidor, et emmena les deux prisonnières jusqu’à un carrefour où elles trouvèrent un fourgon gardé par M. de Fromental ; elles y montèrent, et le sonneur de cloches, enfourchant un des chevaux, rejoignit le convoi destiné aux troupes de Bretagne. M. de Fromental les suivit jusqu’à Niort. Là, il fut obligé de prendre la route de Nantes, après avoir averti les deux jeunes filles que Ragueneau les conduisait à Châteaubriand, où une dame, dont elles connaissaient le nom, consentait à leur donner asile.

Le convoi, après s’être arrêté un instant à Niort, se remit en marche ; mais la route était encombrée : on avançait lentement. Renfermées dans leur caisson à bagages, les deux sœurs souffraient du manque d’air et d’espace ; lorsqu’elles arrivèrent le soir à Nozay, Céleste était dans le délire de la fièvre ; elle se croyait sur le fatal tombereau près d’un prêtre auquel elle se confessait à demi-voix. Eulalie effrayée avertit Ragueneau, qui laissa le convoi continuer sa route et s’arrêta à un cabaret isolé au-delà du bourg. La nuit était close et le lieu solitaire. Maurice