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Paris, les locataires insurgés contre les propriétaires qui refusaient de faire l’abandon de leurs revenus ont pendu ceux-ci en effigie, en plantant des drapeaux noirs sur les maisons comme en temps de guerre. Y a-t-il bien loin de cet état de choses au pillage, et ne semble-t-il pas que la société ait été prise d’assaut, comme une place forte abandonnée par ceux qui devaient la défendre ?

Je considère ce qui se passe aujourd’hui comme le juste châtiment des fautes que la bourgeoisie a commises. Je reconnais que les classes laborieuses, jusque dans leurs colères, sont les instrumens de la Providence, qui veut transférer le pouvoir dans d’autres mains : j’admets que la révolution de février, comme celle de 1789, amène dans la société une répartition nouvelle de la richesse ; mais ce mouvement ne tournera au profit de personne, si l’on en fait un bouleversement radical. Il n’y a pas d’édifice qui prenne son assiette sur des décombres.

Ce n’est ni au gouvernement ni à la loi d’opérer la distribution des fortunes. L’état n’a que des moyens d’action indirects. Il lui appartient de lever les obstacles que la production rencontre en améliorant les voies de communication, et les moyens de transport pour les marchandises ainsi que pour les personnes, en provoquant le reboisement des terrains en pente, l’irrigation du sol cultivé, le défrichement des terres incultes, la colonisation à l’intérieur et à l’extérieur. L’état a qualité pour mettre les instrumens de travail à la portée du plus grand nombre en développant les institutions du crédit par un bon système de banques et par la réforme hypothécaire. Il peut favoriser l’élévation des classes laborieuses par l’éducation et par les institutions d’épargne ; il peut limiter l’expansion des classes supérieures en les appelant à supporter une plus grande part des charges publiques. L’impôt est le véritable levier au moyen duquel on agit sur la répartition de la richesse. La réforme urgente aujourd’hui, la réforme populaire, est celle qui portera sur l’assiette de l’impôt.

Les taxes, en Angleterre, se conforment au principe aristocratique du gouvernement ; elles pèsent principalement sur les objets de grande consommation, et retombent par conséquent sur le peuple. En France, l’impôt direct, l’impôt qui grève la propriété, est la base principale du revenu public ; mais notre système comporte quelques exceptions fâcheuses, comme les taxes sur les boissons, l’impôt sur le sel, les octrois et les droits de douane établis sur les denrées alimentaires. Il présente aussi certaines lacunes que rempliraient un droit plus élevé sur les successions collatérales, des taxes de luxe, et dans une limite raisonnable, par exemple celle de la contribution mobilière, l’impôt progressif.

Voilà ce que pourrait être un programme pratique d’améliorations. En dehors, il n’y a que déceptions et chimères.


LÉON FAUCHER.