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même ligne que le capital pour les éventualités ultérieures. Comme il ne supporte pas les pertes, il n’a pas droit aux bénéfices. Aucun des élémens de la production, ni la main-d’œuvre, ni le capital, ni l’intelligence, ne doit s’attribuer aux dépens des autres la part du lion.

Reconnaître aux ouvriers le droit de partager avec les chefs d’atelier les bénéfices de l’industrie, ce serait établir un impôt sur le capital au profit de la main-d’œuvre. Or, on ne taxe pas le capital à volonté. Il est incompressible de sa nature, et il échappe à la violence par sa mobilité même. Dans toute contrée où les manufacturiers se voient contraints de partager leurs bénéfices avec les ouvriers qu’ils emploient, il arrive nécessairement, ou qu’ils cherchent un autre placement pour leurs capitaux, ou qu’ils rattrapent, par un retranchement sur les salaires, l’équivalent des parts de bénéfice qu’on leur a arrachées.

On veut donner au travail une juridiction, une main mise sur la propriété du capital. On imagine une espèce de droit de l’ouvrier[1], de même que les Irlandais, dans leur haine pour les conquérans saxons, ont inventé un droit du tenancier à la possession de la terre qu’il occupe. Le résultat tournerait contre les ouvriers eux-mêmes. Si vous admettez le droit des ouvriers aux bénéfices d’une entreprise, les ouvriers évalueront en capital le profit annuel qu’ils en retirent, pour vendre ce droit en se retirant, comme on vend une clientelle, à ceux qui se présenteront pour leur succéder. Vous aurez transformé, il est vrai, en capitalistes les premiers ouvriers qui recevront ce don de joyeux avènement des mains de la république ; mais vous aurez mis leurs successeurs dans la nécessité d’acheter le droit de travailler ou de demander l’aumône : vous aurez transporté, dans le domaine du travail, le principe qui a présidé, en 1815, à la création des offices ; vous aurez créé une multitude infinie de privilèges pour remplacer la liberté de l’industrie.

La participation des ouvriers aux bénéfices est, dites-vous, le principe de rapprochement entre l’ouvrier et le manufacturier, entre le travail et le capital, entre celui qui ne possède pas et celui qui possède ! Mais il n’y a pas d’association en dehors de la liberté. En rendant la participation forcée, vous la rendez impossible. La servitude du capital n’est pas plus féconde que celle du travail, et l’on n’enrichit personne en faisant passer la propriété sous les fourches caudines.

Ne voyez-vous pas ce qui arrive partout où la religion de la propriété s’affaiblit ? Le travail cesse et le désordre commence ; mais qui sait où le désordre s’arrêtera ? Déjà la dévastation a été portée dans les forêts de l’état. On a brisé des presses, des métiers, des machines ; on a brûlé des filatures et saccagé des maisons. Dans certains faubourgs de

  1. Dans l’anglais, l’antithèse des deux termes est plus énergique : workman-right, tenant-right.