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« Prenons le système industriel tel qu’il existe, ne cherchons pas à lui enlever l’individualité des intérêts qui fait sa force ; bornons-nous à souhaiter qu’il emploie les hommes autrement que les machines, et que l’ouvrier soit intéressé au succès du maître, dont il demeure aujourd’hui séparé par sa position non moins que par ses préjugés.

« C’est dans la pratique des nations qu’il faut chercher les bases du nouveau contrat. En l’interrogeant avec soin, l’on y trouvera des indications précieuses. Dans la pêche au filet, sur les côtes méridionales de l’Angleterre, la moitié du produit appartient au propriétaire du bateau et du filet, l’autre moitié appartient aux pécheurs qui montent le bâtiment. Une répartition semblable des profits s’opère entre les armateurs et les équipages des vaisseaux envoyés à Terre-Neuve, ainsi que des navires baleiniers. Toute maison de commerce ou de banque qui veut exciter le zèle de ses employés leur attribue un intérêt dans ses affaires. Les fabricans qui cherchent à diminuer le déchet des matières premières allouent à leurs ouvriers la moitié de l’économie obtenue par leurs soins. À Paris, un peintre en bâtiment, M. Leclaire, a eu la bonne pensée d’associer ses ouvriers à la répartition des bénéfices faits dans son établissement, et l’établissement prospère.

« Le même principe peut s’appliquer aux grandes manufactures ; je dirai comment. Il n’en est pas en Angleterre du manufacturier comme du propriétaire foncier. Celui-ci n’est qu’un capitaliste, qui, ayant placé son capital en fonds de terre, en reçoit I’intérêt des mains du fermier. Le manufacturier, au contraire, réunit en lui la double qualité de propriétaire et de fermier. Le capital d’exploitation ou fonds de roulement lui appartient aussi bien que le capital représenté par l’usine, par les machines qu’elle renferme et par le sol sur lequel s’élèvent les bâtimens ; tout cela n’a de valeur que par son industrie. Les filateurs du Lancashire, pour se rendre compte des résultats de leurs opérations, mettent d’abord en ligne de compte l’intérêt et l’amortissement de leur capital, ainsi que les sommes dépensées pour l’achat des matières premières, pour le salaire des ouvriers, pour l’entretien et pour la réparation des machines ; ce qui reste, après ces diverses attributions, des sommes réalisées par la vente des produits constitue leurs bénéfices.

Dans une association qui mettrait en présence, d’un côté le manufacturier, et de l’autre le corps des employés attachés à son établissement, la répartition devrait naturellement se modifier. On poserait d’abord en principe que toute fonction doit être rétribuée, et le manufacturier s’allouerait un traitement, de même qu’il paie aux ouvriers un salaire. Le salaire, étant une marchandise, se réglerait selon les cours admis sur le marché. Viendraient ensuite les dépenses d’entretien, de réparation et d’amélioration. L’intérêt du capital ne serait prélevé que pendant la durée de l’amortissement. Quant aux bénéfices, après avoir mis à part un cinquième pour le fonds de réserve, on les partagerait, par égales moitiés, entre le maître et le corps des ouvriers. Il va sans dire que j’entends ce partage comme une concession volontaire, à laquelle chaque manufacturier apporterait ses conditions. On comprend encore que tous les ouvriers ne devraient pas y être indistinctement admis. Une certaine résidence ferait titre, si d’ailleurs la bonne conduite du co-partageant ne s’était pas démentie. Le fabricant n’aurait point à produire ses livres, il serait cru sur parole. Il conserverait aussi