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paralyse aujourd’hui le principe de la richesse, que restera-t-il désormais au pays ?

Les ouvriers seront les premières victimes du système. Les ateliers de l’industrie privée se fermant l’un après l’autre, il ne leur restera bientôt plus d’autre ressource que les ateliers nationaux. Ceux qui gagnaient depuis 3 francs jusqu’à 5 francs par jour devront se contenter de 1 fr. 50 cent. ou de 2 francs au maximum ; ils tomberont à la charge du gouvernement, qui, pour entretenir 45,000 ouvriers à Paris sans compter les femmes, devra ouvrir un emprunt ou établir de nouveaux impôts, c’est-à-dire enlever aux capitalistes et aux chefs de l’industrie les ressources à l’aide desquelles ils auraient pu, un peu plus tôt, un peu plus tard, rendre l’impulsion au travail. Cette transformation ne peut désormais avoir qu’un seul genre d’utilité : c’est de montrer, par le plus irrésistible des argumens, par l’expérience, à quel point toute organisation artificielle du travail dans la société est stérile et éphémère.

En décrétant l’abolition du marchandage, M. Louis Blanc n’en voulait qu’aux tâcherons, qui sont à l’ouvrier, dans l’état de liberté, ce que le commandeur, dans nos colonies, est à l’esclave. Il n’entendait proscrire ni le travail à la tâche, ni le marchandage par association, ces deux progrès que la liberté de l’industrie amène avec elle ; mais la pensée des ouvriers allait plus loin, et ils se sont chargés de compléter le décret. En vertu de la théorie qui prétend faire régner l’égalité des salaires, ils ont interdit le travail à la tâche comme tendant à mettre des différences entre les travailleurs. Le marchandage par association n’a pas trouvé grace devant leur politique radicale, et cependant il y avait là un germe fécond d’entreprises. Cette espèce de marchandage était, dans les grands ateliers, la véritable et la meilleure organisation du travail. L’ouvrier devenait entrepreneur, et l’entrepreneur pouvait s’élever à l’état de capitaliste. Plusieurs ouvriers s’associant pour entreprendre, à un prix débattu, la façon de tel ou tel ouvrage, se distribuaient les tâches dans la mesure des facultés de chacun ; le salaire était proportionné à l’habileté, et le bénéfice au salaire. Chaque atelier dans l’usine se transformait ainsi en une république industrielle, que surmontait l’impulsion unitaire du manufacturier. Voilà le progrès naturel et précieux que l’on a détruit pour y substituer des combinaisons chimériques. Nous remontons, à la voix qui part du Luxembourg, le courant de l’histoire. En matière d’industrie, les échelons du progrès étaient d’abord le travail servile, puis la corvée, le travail à la tâche et le travail à l’entreprise. On a déjà supprimé les deux derniers ; espérons que l’on rétrogradera, par le chemin de la corvée, jusqu’au sanctuaire de l’esclavage.

Une fois que l’état s’est immiscé dans les transactions industrielles, il se voit forcé d’intervenir dans tout et partout. On nous dit que cette