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fait la loi pour ceux et à ceux qui travaillent avec la seule assistance de leurs bras[1].

Mais cette loi qu’ils ont arrachée au gouvernement, l’observent-ils eux-mêmes ? Assurément non. L’on sait que les ouvriers constructeurs ne consentent pas généralement, depuis que le décret a été rendu, à travailler plus de neuf heures, qu’ils ne rentrent dans les ateliers qu’à cette condition, et qu’ils exigent, pour neuf heures de travail, le même salaire qu’ils obtenaient auparavant pour douze. Ainsi, le décret qui rançonne le manufacturier ne le met pas à l’abri d’une rançon plus dure, et au-dessus de l’ordre légal se place encore la loi du plus fort.

Jusque dans la sanction pénale attachée au décret, on reconnaît la partialité du législateur. La peine de l’amende, et, en cas de récidive, celle de la prison sont prononcées contre le chef d’atelier qui admettrait ses ouvriers à prolonger la journée de travail au-delà de dix heures, quoique cela ne puisse arriver que de leur consentement, et, pour ainsi dire, avec leur complicité. En revanche, l’impunité la plus complète est réservée aux ouvriers qui travaillent moins de dix heures, et cela malgré le scandale des violences qui ont troublé un grand nombre d’ateliers. M. Louis Blanc dit quelque part dans une de ses proclamations « Ne pas limiter le travail, c’eût été méconnaître ce qu’avait de légitime l’universelle réclamation des travailleurs ; le trop limiter, c’eût été courir le risque de ruiner des établissemens qui emploient beaucoup de bras ; c’eût été, dans les circonstances actuelles, s’exposer à rendre plus redoutable la concurrence étrangère. » Eh bien ! la limite posée par M. Louis Blanc, limite déjà fort onéreuse, n’est pas respectée par les ouvriers. Les établissemens les mieux organisés sont livrés à l’anarchie et tombent dans une dissolution complète. La concurrence de l’étranger peut se donner carrière, car on désorganise notre industrie et on la met pour long-temps hors d’état de soutenir la lutte. On s’est plaint que la monarchie avait détruit le prestige de notre influence morale ; si l’on

  1. Voici l’adresse présentée par les ouvriers du chemin d’Orléans au gouvernement provisoire. Les ouvriers du chemin du Nord et presque tous ceux des autres grands ateliers de construction ont mis en avant les mêmes demandes :
    « Braves citoyens,
    « Vos sympathies pour nos souffrances nous sont connues et nous garantissent sûrement votre approbation à ce que nous désirons faire relativement à l’organisation du travail ; voici ce que nous croyons être en droit de réclamer.
    « 1° Nous désirons faire moins d’heures de travail pour avoir le temps de nous livrer à l’instruction qui moralise et qui donne connaissance des devoirs.
    « 2° Nous désirons que notre salaire soit plus élevé, car il ne peut pas suffire à la satisfaction de nos besoins de première nécessité.
    « 3° Nous désirons l’abolition radicalement comprise de toute espèce de marchandage. « Citoyens, nous comptons sur votre fraternelle amitié et sur votre sagesse pour rédiger le programme des conditions avec lesquelles nous reprendrons nos travaux. »