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vingt à trente ans. C’est pour cette période de la vie qu’il demande un salaire fixe et proportionné aux besoins de sa famille, qu’il aspire, en un mot, à la condition de pensionnaire de l’industrie.

Les classes laborieuses ont poursuivi cet idéal sous diverses formes. Pendant long-temps, et lorsque le souvenir des corporations n’était pas encore effacé, elles demandaient que l’état promulguât des tarifs obligatoires et uniformes, soit pour le travail à la tâche, soit pour le travail à la journée. Ce fut ainsi que les tisserands de Londres provoquèrent l’acte éphémère de Spitalfields. De la même manière, les ouvriers de Lyon, un moment maîtres de la ville en 1832, imposèrent à la municipalité vaincue un tarif des façons qui ne serait pas resté en vigueur pendant trois mois, quand même l’autorité supérieure aurait revêtu de sa sanction cette violence faite à la liberté industrielle. Aujourd’hui les ouvriers ne demandent plus directement la permanence des salaires ; c’est sous une forme indirecte, c’est par la réduction des heures de travail combinée avec le maintien des prix actuels, qu’ils s’efforcent de convertir les salaires en traitemens réguliers.

Les variations du salaire, dans l’état de l’industrie et de la société, sont à peu près mortelles pour les classes laborieuses. Il faut donc rendre ces classes prévoyantes et au besoin prévoir pour elles. L’état, qui doit se borner à une attitude d’observation dans les temps prospères, a certainement, dans les époques de crise, un rôle actif à remplir ; mais il est insensé de l’appeler, comme on le fait aujourd’hui, en garantie du salaire, car la justice distributive exigerait qu’après avoir garanti le prix du travail, il assurât la rémunération de l’intelligence et le loyer du capital. Quelle valeur pourrait avoir la garantie de l’état, si elle s’étendait à tous les rouages de la production, si l’assureur et l’assuré étaient la même personne, c’est-à-dire tout le monde ?

Le décret du 2 mars n’a pas même ce caractère d’opportunité qui fait quelquefois violence aux principes. On l’a rendu dans un moment où toutes les industries étaient en souffrance, où les chefs d’industrie faisaient déjà les plus grands sacrifices pour entretenir le mouvement de leurs ateliers, où la durée du travail allait se réduire, mais avec le salaire, et où cette réduction forcée devenait le seul moyen d’en conjurer la suspension prochaine. On a précipité ainsi la crise ; pour améliorer le sort des travailleurs, on n’a pas craint d’attaquer les sources mêmes du travail.

J’ajoute que le décret du 2 mars a été principalement réclamé par des ouvriers privilégiés dans leur intérêt exclusif et au détriment de tous les autres. Ce sont des mécaniciens et des ouvriers constructeurs qui ont porté ces plaintes, ceux qui obtenaient les salaires les plus élevés pour la journée la plus courte. Ce sont les hommes, en petit nombre, qui ne peuvent travailler qu’à l’aide des machines, qui ont