Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on renouvelait. Que sont devenus aujourd’hui ces émigrans affamés, ces colons innombrables qui devaient se disputer toutes les terres labourables du pays ? Il existe des documens officiels qui permettent de les compter[1]. En 1840, c’est-à-dire au bout de sept années, il y en avait vingt-quatre dans toute l’Inde anglaise, dont neuf dans le Bengale[2]. Il faut bien le dire, c’était encore un excès de prévoyance qui poussait la compagnie à écarter les colons européens, car les charges qui pèsent sur la propriété foncière dans l’Inde suffisaient et au-delà pour protéger son domaine contre les envahissemens qu’elle redoutait.

Nous croyons avoir prouvé que la politique suivie par l’Angleterre dans les affaires civiles de l’Inde donne à sa domination des garanties plus que suffisantes d’extension et de durée. Sous le règne des princes musulmans, les brillantes qualités du génie mongol avaient exercé une puissante influence sur les imaginations hindoues ; elles avaient entamé, mieux encore que l’épée de Tamerlan, l’orgueil et le mysticisme des brahmes. C’est au milieu de cet éclatant travail de transformation que les armes victorieuses des Anglais surprirent les populations de l’Inde. On a vu s’ils ont réussi à étouffer les germes de vitalité qui contrariaient les calculs de leur politique : d’un peuple qui commençait péniblement à sortir de son immobilité, ils ont fait un peuple décidément rétrograde, ils ont assoupli la race conquise, au point d’en faire l’instrument le plus docile de leur puissance et de leur grandeur. Si quelques esprits inquiets pouvaient jamais croire à la formation d’une société indépendante qui renouvellerait sur le sol de l’Inde les héroïques efforts de la race anglo-américaine, l’étude des ressorts de l’administration anglaise dans ce vaste empire devrait suffire pour les rassurer. Ce n’est ni du côté de la race indigène, ni du côté de la société coloniale, réduite à une faible population administrative, que la compagnie est aujourd’hui menacée ; c’est vers les frontières de son vaste empire qu’elle doit tourner ses regards, c’est là qu’elle rencontre dans les intrigues de la Russie le péril, sinon le plus prochain, du moins le plus sérieux pour sa domination. On peut donc dire que, si la politique anglaise dans l’Inde a mené à bien son œuvre administrative, elle est loin d’avoir terminé son œuvre diplomatique et militaire. De ces deux tâches, ce n’est pas la plus difficile qui est accomplie.


FRANCIS EDWARDS.

  1. British settlers in Indice. — East India house, March., 1840.
  2. Les planteurs d’indigo, de sucre ou de coton ne possèdent ni n’afferment les terres. Ils font un contrat avec les fermiers hindous qui cultivent la plante et la livrent aux Européens.