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l’Inde anglaise. Que serait-il arrivé si la compagnie, animée d’un esprit moins exclusif, avait ouvert les portes à tous ceux dont le passé offrait des gages pour l’avenir, et si elle avait cherché dans leur expérience, dans leur aptitude pour les affaires, quelques garanties pour la bonne administration du pays ? D’abord il n’est pas douteux que la population indigène, si elle avait été admise à ce concours, serait entrée dans la lice avec des avantages près desquels ceux d’une éducation européenne doivent paraître insignifians. En effet, une connaissance intime de la langue, des mœurs et des habitudes du pays est dans la pratique bien autrement efficace que ces vagues et insuffisantes notions de droit et d’économie politique auxquelles les études faites à Haileybury empruntent tout leur prestige. Et d’ailleurs l’intelligence des naturels est-elle donc inerte à ce point qu’ils ne puissent coopérer à l’action d’un gouvernement tel que celui de l’Inde ? Loin de là : que l’espoir d’un meilleur avenir, qu’une émulation vive et féconde les arrachent aux molles influences qui les dominent, et les Hindous donneront les preuves d’une puissance intellectuelle qui ne le cèderait en rien à celle des nations les plus avancées de l’Europe. Ces preuves, ils les ont déjà données, et, pour citer un exemple entre mille, il y a à peine trois ans que quelques jeunes gens, partis de Calcutta pour aller étudier la médecine à Londres, y sont bientôt devenus, au grand étonnement des professeurs, les meilleurs élèves que ceux-ci eussent dans leurs cours. Tout en tenant compte de ces aptitudes remarquables des Hindous, on a pensé qu’il n’était pas d’une sage politique d’appeler un peuple conquis au partage du pouvoir, attendu que la honte et le ressentiment de sa défaite rendaient impossibles l’alliance et la fusion des deux peuples. Cette objection, qui serait triomphante s’il s’agissait d’un pays où les passions n’ont pas encore eu le temps de se calmer, perd beaucoup de sa solidité quand on l’applique à l’Inde. Sous le règne des empereurs musulmans, il n’était pas rare de voir les Hindous devenir ministres et commander les armées ; presque toujours même, le gouvernement des provinces éloignées du centre de l’empire était confié à un dignitaire choisi parmi les grandes familles du pays. La compagnie est moins confiante que le despotisme musulman, et elle repousse comme dangereux le partage du pouvoir administratif avec la population indigène.

En écartant de l’Inde tous les Anglais que l’appât d’un beau salaire y aurait amenés en foule, le système actuel répond à un besoin plus sérieux. Certes, parmi tous ces concurrens, il eût été facile de trouver des instrumens aussi précieux et peut-être aussi dociles que la plupart des civiliens ; mais il aurait fallu faire un choix, et c’est précisément ce que l’on voulait éviter. En effet, on ne blesse pas impunément des intérêts que l’exil aiguillonne et rend plus exigeans ; ainsi les candidats