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autre terrain contre les préjugés barbares qui subsistent encore parmi les populations de l’Inde. C’est par le progrès des lumières qu’on cherchait à les combattre. Comment expliquer cette contradiction ? Pourquoi d’une part tant d’indifférence, de l’autre tant de zèle ? C’est que le gouvernement, quand il se montre libéral, quand il patronise l’enseignement, ne fait qu’obéir à un mouvement imprimé par une main plus puissante que la sienne, celle du peuple anglais qui, représenté par la Société des missions de Londres et d’Édimbourg, est allé fonder dans l’Inde des lycées et des temples. Toutefois, si le gouvernement de l’Inde a subi l’influence de cet élan généreux, il a prolongé tant qu’il a pu la résistance. Les missionnaires anglais voulaient faire de paisibles conquêtes, et l’on pouvait croire que la compagnie s’en montrerait peu jalouse. Il en fut autrement ; on leur suscita toute espèce de tracasseries, on épuisa contre eux tous les moyens de persécution, et, ces efforts ayant échoué devant l’opiniâtreté des missionnaires protestans, on alla jusqu’à interdire les droits civils à tous les indigènes convertis. Aujourd’hui cette proscription n’est plus écrite dans la loi, mais elle est encore vivante dans tous les esprits. Les native christians sont traités en parias par les conquérans de l’Inde : on les refuse pour domestiques, et c’est à peine si on les admet comme musiciens et comme tambours dans les régimens de la compagnie. Néanmoins la cour des directeurs, après avoir long-temps entravé le progrès des missions, dans la crainte de voir une guerre religieuse éclater parmi les Hindous, a fini par comprendre que rien ne justifiait de telles alarmes. L’accord s’est rétabli entre elle et les pieux agens du protestantisme. Il a été décidé qu’on laisserait l’instruction publique aux missionnaires, à la condition qu’ils s’abstiendraient de toute propagande. Ce compromis, on le pense bien, aurait offert peu de garanties, si l’expérience n’avait déjà démontré que les Hindous étaient inébranlables dans leur foi. Le petit nombre de ceux que les missionnaires avaient convertis depuis leur arrivée appartenaient aux classes les plus infimes, et cette circonstance, ayant jeté du discrédit sur l’œuvre de la propagation, la rendait encore plus difficile. Au reste, le clergé anglais a pris une noble revanche de l’échec qu’il éprouvait sur le terrain des doctrines religieuses, en se vouant à l’enseignement avec une ardeur digne des plus grands éloges. L’impulsion une fois donnée, et l’éducation ayant cessé d’être un sujet de discorde, le gouvernement s’est mis lui-même à la tête d’une ligue qu’il avait voulu étouffer.

Sans vouloir amoindrir l’importance des résultats que l’on a déjà obtenus[1], qu’il nous soit permis de demander s’il n’y aurait pas autre

  1. Le plus beau collège qu’il y ait à Calcutta est dû à la munificence d’un Français, le général Martin. Il avait acquis sa fortune dans l’Inde, mais il est le seul Européen qui en ait jamais fait un aussi noble usage. Il a voulu perpétuer sa mémoire en fondant trois collèges qui portent son nom, un à Lyon, sa ville natale, et deux dans l’Inde, son pays d’adoption. Il a laissé pour le collège de Calcutta une somme de plus de trois millions de francs, qui n’a reçu sa destination que trente-cinq ans après la mort du testateur.