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— A Cordova, répondit la même voix.

La troupe passa, et nous restâmes immobiles à la même place. Peu après, une seconde troupe, puis une troisième firent et rendirent les mêmes réponses de la même manière et poursuivirent leur route vers Mexico. Cependant je ne voyais dans ces hommes que des voyageurs ordinaires, car rien ne trahissait, dans leur costume, la tenue d’un corps régulier, quand des lueurs éloignées me parurent scintiller au milieu du brouillard. Je crus même distinguer des vivat qui s’élevaient de temps à autre ; c’était une nouvelle troupe qui s’avançait. Au centre, et vivement éclairés par la lueur de torches résineuses, venaient, sur deux chevaux dont ils comprimaient l’ardeur, deux officiers en tenue de campagne, c’est-à-dire moitié militaire, moitié bourgeoise. Celui qui marchait en tête avait une physionomie et une tournure qui me frappèrent doublement en ce qu’elles éveillèrent chez moi un sentiment de curiosité et un vague ressouvenir. C’était un homme qui paraissait avoir quarante-cinq ans, de haute taille et d’un teint jaunâtre. Un front élevé, dont le chapeau ne dissimulait qu’imparfaitement la proéminence, un menton arrondi et peut-être trop fort pour la régularité des traits, dénotaient chez lui la persistance et même la ténacité. Son nez légèrement aquilin, ses grands yeux noirs pleins d’expression, sa bouche mobile, donnaient à ses traits un air de noblesse remarquable. Des cheveux noirs et bouclés couvraient ses tempes et ombrageaient ses joues aux pommettes un peu saillantes. Je remarquai que l’une des mains du cavalier, celle qui tenait la bride du cheval, était mutilée.

Don Blas fit un geste de surprise, et, se donnant à peine le temps de répondre au mot de ralliement qui lui fut demandé, il s’élança vers l’officier à cheval.

— Votre excellence ne doit pas oublier que nous sommes à deux pas de Mexico, lui dit-il en se découvrant respectueusement, et la prudence exige qu’elle n’aille pas plus loin.

— Ah ! c’est vous, capitaine don Blas, dit le cavalier en s’arrêtant, je suis bien aise de vous voir parmi les nôtres. Puis s’adressant à son cortége

— Vous l’entendez, seigneurs, dit-il, le plaisir de me retrouver encore au milieu de vous me faisait oublier le soin de ma propre sûreté ; mais le temps n’est pas éloigné, je l’espère, où je reviendrai de nouveau et où je ne trouverai là-bas, ajouta-t-il en montrant Mexico, que des amis et dés frères.

En disant ces mots, le cavalier fit une demi-volte, et je pus voir que du côté droit une jambe de bois s’appuyait seule sur l’étrier. Un hourra couvrit ses dernières paroles, les brandons jetés au loin allèrent s’éteindre en sifflant dans les eaux du lac, et tout rentra dans l’obscurité, mais pas assez vite pour que je n’eusse pu reconnaître dans le cavalier qui