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On voulait effrayer les indigènes, mais ces terreurs affectées manquèrent le but par leur exagération même.

En fixant dans le Bengale l’impôt à plus de la moitié du produit et en grevant la terre de la rente due au nouveau propriétaire, lord Cornwallis prévoyait peu qu’on dût l’accuser plus tard d’avoir sacrifié les intérêts du gouvernement, et pourtant c’est ce qui est arrivé. En effet, la variété, la richesse des productions ainsi que l’immense fertilité du sol ont déjoué tous ses calculs, et les zemindars, dont sans doute il avait voulu faire des régisseurs plutôt que de véritables propriétaires, ont levé sur la misère du peuple un impôt encore plus lucratif que celui du gouvernement. Il serait facile de prescrire des bornes raisonnables à la cupidité des propriétaires, et il suffirait pour cela de fixer le taux de la rente. Si le gouvernement recule devant cette mesure que tous les bons esprits ont constamment réclamée depuis plus de cinquante ans, ce n’est pas qu’il mette en question le droit qu’il a d’intervenir dans les contrats privés pour réprimer les abus dont il ne profite pas. La compagnie n’a pas de semblables scrupules. Ce qui l’arrête, c’est la crainte de s’aliéner les principales familles du pays, dont il faudrait heurter les intérêts pour apporter quelque adoucissement au sort des fermiers.

Entre le système que lord Cornwallis a introduit dans le Bengale et celui que ses successeurs ont mis en vigueur dans les autres provinces de l’Inde, il est malaisé de faire un choix et de déterminer quel est celui qui pèse le plus lourdement sur le peuple. Pour obtenir un ensemble de mesures qui fût réellement satisfaisant au point de vue de la compagnie, il suffisait de réparer les deux erreurs capitales que le vieux soldat avait commises : ainsi il fallait éviter d’engager l’avenir, comme il l’avait fait en perpétuant le taux de l’impôt, et il fallait surtout se garder de cet odieux, de cet intolérable partage auquel il avait appelé les propriétaires de sa création. C’est ce qu’on a fait, et, les lois fiscales étant ainsi modifiées, on peut dire que dans les provinces nouvellement acquises le collecteur est le véritable maître de toutes les terres de son district. Il taxe les propriétés à son gré, et, si toute la somme imposée n’est pas payée à l’expiration du terme de rigueur, il fait vendre la propriété à l’enchère, et il condamne le propriétaire à la prison lorsque le produit de la vente reste au-dessous des exigences du trésor[1].

Les Hindous sont attachés au servage des champs, comme l’étaient jadis nos pères à celui de la glèbe, et, outre les calamités qui accompagnent une mauvaise récolte, ils sont encore menacés de la contrainte par corps. Comment s’étonner si ces mesures oppressives paralysent

  1. Shoce’s Notes on Indian affairs, — Calcutta, 1839, et Rammohan Roy’s Revenue system in India.