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crime ou d’un délit échappe presque toujours aux poursuites qui sont dirigées contre lui. D’ailleurs, l’intérêt même de la victime lui ordonne de se taire, et, au besoin, de faciliter l’évasion du coupable. En effet, s’il est quelque chose que l’on redoute à l’égal des malfaiteurs, c’est l’intervention de la police, et pour ne pas être traîné à 100 ou 150 milles plus loin, pour ne pas être examiné en qualité de témoin et renvoyé devant le juge, toutes choses qui interrompraient ses travaux et l’éloigneraient de sa famille pendant trois ou quatre mois, on a vu souvent celui qui avait été dépouillé de tout ce qu’il possédait emprunter à ses voisins, afin de payer lui-même la rançon du coupable. Cependant, si le dommage est considérable et de nature à pouvoir être réparé, il est évident que celui qui en a souffert ne négligera rien pour activer les investigations de la police. Dans ce cas, il sera tributaire du commissaire de police aussi bien que de ses agens, et il apprendra qu’il est parfois plus difficile de stimuler leur zèle que d’en arrêter les élans. En somme, il est de règle que toute infraction aux lois doit tourner au profit de la police, soit qu’elle agisse, soit qu’elle reste passive.

Ce sont là de graves abus sans doute, et, si ces choses se passaient partout ailleurs que dans le Bengale, elles suffiraient pour qu’on qualifiât d’exécrable le système qui les tolère ; mais ce serait mal connaître les Hindous et leurs dispositions endurantes que de les croire capables de s’émouvoir pour si peu. En fin de compte, que la police soit insuffisante et qu’elle doive être entretenue dans l’abondance et la fainéantise, ce sont là encore des maux supportables : il faut mieux que cela pour expliquer l’horreur que la police inspire aux habitans de l’Inde. Aussi, parmi les traits de cruauté qu’on lui reproche, en est-il qui nous reportent aux plus tristes souvenirs de l’inquisition. L’auteur d’un des meilleurs livres que l’on ait écrits sur l’Inde, l’évêque Heber, s’étonnait de ce que son aspect, qui n’avait certes rien de redoutable, mît en fuite tous les Hindous qu’il rencontrait sur les bords du Gange, et il se demandait avec douleur quelle était la cause de cette terreur instinctive que, de nos jours encore, les vainqueurs continuent d’inspirer aux vaincus. Malheureusement le bon évêque a négligé de nous dire s’il était escorté de ces terribles alguazils qui accompagnent presque toujours un grand personnage dans ses excursions sur la rivière, et qui s’en vont maraudant et butinant comme s’ils étaient en pays ennemi. Il est rigoureusement vrai que les agens de police traitent les habitans d’un village comme si l’on était sur un pied de guerre, leur passage est toujours marqué par quelque acte de violence, et les brahmes eux-mêmes ne sont pas à l’abri de leurs insultes.

Toute la police du district est placée sous le contrôle d’un fonctionnaire qui porte le titre de magistrat. C’est ordinairement un jeune civilien âgé de vingt-quatre ou de vingt-cinq ans, qui est à la fois procureur