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des devoirs à remplir et la rapidité qu’il faut apporter dans l’expédition des affaires excluent tout examen et livrent les parties à un pouvoir discrétionnaire qui s’affranchit de toutes les règles et de tous les précédens. Veut-on savoir quel est le temps qu’un juge peut donner aux affaires civiles de son district ? Il a quatre mois par an pour les expédier. Le compte est facile à faire. Le nombre des jours fériés, tant anglais qu’hindous et musulmans, est de 130 par an ; ajoutez-y 10 jours par mois pour les assises : il reste 115 jours durant lesquels un seul homme prononce sur les intérêts qui ont agité une population d’un million d’ames dans le cours d’une année entière ! En matière criminelle, la juridiction de ce fonctionnaire s’étend sur tout le district. Les accusés lui sont déférés par la police locale, et il les juge en dernier ressort, lorsque la peine qu’il inflige ne dépasse pas quatorze années de fers. Les condamnations à mort doivent être confirmées par la cour supérieure qui siège à Calcutta.


L’organisation de la police présente non moins d’abus que celle de la justice. Cette organisation est tellement vicieuse dans le Bengale, qu’après avoir long-temps soulevé l’indignation de la presse, les énormités qu’elle entraîne ont enfin fixé l’attention publique. Le gouvernement s’en est ému lui-même, et il a fait tous ses efforts près de la cour des directeurs pour qu’on affectât 1 ou 2 millions de plus aux besoins de ce service. Personne ne croyait cette somme suffisante pour arrêter le mal ; mais on croyait qu’elle suffirait pour arrêter les clameurs. La cour des directeurs s’est montrée fort peu touchée du bruit que l’on faisait dans l’Inde, et elle est restée inexorable ; il s’agissait d’un surcroît de dépenses : le parlement seul, en pareil cas, a le secret de se faire écouter, et il n’y a pas de réforme à espérer tant qu’il ne s’en mêle pas.

Telle qu’elle est, la police du Bengale cause infiniment plus d’effroi que n’en inspirent ceux-là même dont elle devrait réprimer les méfaits. Nous avons déjà dit qu’il y avait 469 commissaires de police pour tout le Bengale, c’est-à-dire un commissaire de police pour 80,000 habitans. Les agens de police sont au nombre de 7,000, soit un agent de police pour un peu plus de 5,000 habitans. Ces hommes reçoivent chacun 120 francs par an, et ils sont lancés avec leurs armes et leurs insignes au milieu de la population indigène, aux dépens de laquelle ils doivent vivre. Si l’on se rappelle l’étendue du territoire, si l’on songe que chaque commissaire de police doit exercer sa surveillance dans un arrondissement de 84 lieues carrées, et que chaque agent de police est le seul représentant du pouvoir exécutif dans une commune de 6 lieues carrées, on comprendra combien est illusoire la protection qu’il faut attendre de cet agent isolé. Aussi qu’arrive-t-il ? C’est que l’auteur d’un