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à Calcutta. Cette cour supérieure est également chargée de maintenir l’unité de jurisprudence dans toutes les cours de district, et, sans connaître du fond des affaires dans les justices de paix, elle doit veiller à ce que la loi ne soit jamais violée ni mal appliquée. Les affaires dont le chiffre s’élève à 125,000 francs peuvent être soumises en appel à un tribunal spécial en Angleterre, mais les frais et les lenteurs qui accompagnent cette procédure sont bien faits pour éloigner, le plus grand nombre des plaideurs.

Le nombre des actions civiles intentées dans le Jessore est de neuf à dix mille par an, et les intérêts en litige peuvent être estimés à une somme de 5 millions de francs, en prenant pour base une statistique qui comprend ces dix dernières années. Sans contredit, c’est un labeur assez considérable pour un seul juge que d’exercer, dans une si vaste circonscription, un contrôle absolu sur toutes les justices de paix et de prononcer en première instance sur les causes les plus importantes, sans parler des jugemens à exécuter, des successions à liquider et des biens vacans à administrer. Cependant d’autres devoirs se joignent, pour le juge, à ces attributions, déjà si complexes et si nombreuses. En effet, c’est le même fonctionnaire qui est chargé de la répression des crimes et délits ; il venge la société, il applique les peines infamantes, et ce pouvoir immense, il l’exerce sans partage et dans toute l’étendue de son district.

Quels sont les juges de paix indigènes qui concourent avec ce fonctionnaire à l’administration de la justice civile ? Ces hommes, il faut bien le dire, ne se recommandent guère par la pureté des mœurs, et il en est bien peu dont le concours n’imprime pas une tache à l’administration. Ils appartiennent aux classes les plus infimes de la société hindoue, et, à défaut de qualités personnelles, leur caractère officiel et le faible salaire qui y est attaché ne suffisent pas à faire oublier la bassesse de leur caste. On a essayé de les entourer de quelque considération à l’aide de titres pompeux que l’on a empruntés à la langue persane, et qui servaient autrefois à qualifier les plus hauts dignitaires de l’état ; mais les naturels ne s’y sont pas trompés, et l’audace inouie avec laquelle ils spéculent sur la vénalité de ces fonctionnaires montre assez quel cas il faut faire de tout ce clinquant. Les justices de paix, où le peuple devrait trouver un ministère d’ordre et de conciliation, sont, dans l’Inde, autant de boutiques ouvertes à un trafic scandaleux. Il y a mieux : on s’est tellement habitué à suborner les juges aussi bien que les témoins, et ce système de corruption est si profondément entré dans les mœurs, que les plaideurs emploient tous les moyens en leur pouvoir pour échapper à la juridiction des juges anglais, les seuls qui soient incorruptibles. Tout le monde sait que certains cadeaux, nommés douceurs dans le Bengale, ne sont autre chose qu’une taxe prélevée