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quelques parties du vaste champ qu’il ouvre à l’histoire : s’il s’agit, par exemple, du prix et du nombre des esclaves à Athènes, ou bien de leur condition dans la société romaine, on peut avoir recours aux doctes recherches de M. Bœckh, à la science fine et profonde de M. Letronne, aux notes si ingénieusement érudites du traducteur de Plaute, M. Naudet ; mais aucun historien n’avait encore embrassé la question de l’esclavage ancien dans son ensemble et dans sa grandeur.

Pour remplir toutes les conditions du sujet, M. Wallon est remonté jusqu’au berceau des sociétés humaines. Malgré l’obscurité profonde des origines, malgré la rareté des monumens, il cherche et il détermine jusqu’à un certain point l’état des classes serviles dans l’Égypte, l’Inde, la Chine, et d’abord dans la Judée, car le peuple hébreu, M. Wallon le constate à regret, le peuple de Dieu a eu aussi ses esclaves. Abraham compte dans sa famille des esclaves par naissance et des esclaves achetés ; ils composent, avec ses troupeaux, l’héritage qu’il transmet à son fils Isaac. Joseph est vendu pour vingt pièces d’argent à des marchands ismaélites qui le revendent en Égypte. De jeunes filles sont données à Rébecca, lorsqu’elle passe de la maison de son père en celle d’Isaac. D’autres forment la dot ou plutôt le pécule de la femme, alors que la femme est achetée par du travail ou des présens. Ainsi Lia et Rachel reçoivent l’une et l’autre, de Laban, une esclave en épousant Jacob. Une coutume bien curieuse et particulière au peuple juif, c’est que la femme cédait à son esclave son droit d’épouse, pour acquérir d’elle les droits de mère, et elle se consolait d’être stérile par cette fécondité d’emprunt dont elle recueillait les fruits.

Si la législation juive admit l’esclavage, ce qui est assez embarrassant, quoi qu’en dise M. Wallon, pour ceux qui croient comme lui cette législation divine, il faut convenir qu’elle a fait de grands efforts pour le tempérer. On s’attendrait moins à rencontrer cette douceur à l’autre extrémité de l’Asie, dans l’empire chinois. M. Wallon cite deux ordonnances très remarquables de Kouang-Won, qui protégent la vie et la personne de l’esclave dans un langage digne du christianisme. Une autre particularité curieuse, c’est l’échelle des vertus théologales des Chinois, qui compte pour une faute le fait de réprimander injustement ses esclaves ; les voir malades et ne pas les soigner, les accabler de travail, dix fautes ; les empêcher de se marier, cent fautes ; leur refuser de se racheter, cinquante fautes. Aussi ne rencontre-t-on pas une seule guerre servile dans les annales de la Chine, pas plus que dans celles de la Judée.

En quittant l’Orient pour la Grèce, M. Wallon rencontre les documens précis et abondans qui lui avaient manqué jusque-là, et son exposition, désormais appuyée sur des bases solides, peut se développer sur une échelle plus étendue. Un volume entier est consacré à l’étude de l’esclavage en Grèce. L’auteur examine successivement les origines de l’esclavage, la condition des classes serviles et l’influence que cette condition a exercée, soit sur ces classes elles-mêmes, soit sur le travail libre et sur la société en général. On remarquera le savant chapitre où l’auteur, après avoir distingué à Sparte deux degrés de servitude, celle des Périèques ou Laconiens et celle des Hilotes, détermine approximativement le chiffre de ces deux populations comparé à celui des citoyens libres. Voici les nombres où son calcul aboutit : 8,000 Spartiates, ou, avec les femmes et les enfans, 31,400 personnes ; 120,000 Périèques et 220,000 Hilotes ; ce qui donne une population esclave dix fois plus nombreuse que la classe libre. Ces chiffres fournissent le secret de l’extrême sévérité des lois de Lycurgue. « Le législa-