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en lui la consistance et l’énergie nécessaires pour entreprendre l’éducation des peuples à peine policés dont il reste le tuteur. Quiconque a réfléchi sur le lent apprentissage par lequel se forment les sociétés souhaitera, pour l’Autriche et pour l’Europe, une mission qui peut être encore honorable et féconde pour toutes les deux ; mais, l’Autriche debout en face de la Prusse, au sein de l’Allemagne, comment s’accomplira l’unité ? C’est toujours le problème qui revient.

Le problème n’est pas moins complexe en Italie. Le vœu du pape Jules II est, pour la première fois depuis trois cents ans, à la veille de se réaliser. Si les étrangers vident aujourd’hui le sol national, pour qu’ils repassent ensuite la frontière des Alpes, il faudra tout au moins que l’Europe entière donne le démenti le plus complet à ces quelques jours qu’elle vient d’inscrire dans son histoire en traits ineffaçables. L’Italie délivrée, l’Italie purgée des petits princes satellites de l’Autriche, sera nécessairement appelée à se reconstituer. Charles-Albert a déjà été salué roi d’Italie, comme Frédéric-Guillaume a été salué roi d’Allemagne. Derrière ces cris impatiens, il y a partout l’obstacle des faits. Sans doute, il est difficile que la royauté de Charles-Albert ne gagne pas au remaniement des territoires italiens, et, gagnant quelque chose, elle est nécessairement sur le chemin de gagner beaucoup ; mais, avec un empire considérable dans la péninsule, quelle place reste-t-il au saint-siège ? Et si d’un autre côté nous voyons renaître une république cisalpine, si le noyau républicain rallie, comme il serait probable, toutes les régions avoisinantes, quelle est encore la situation de l’église, obligée de gouverner un domaine trop étendu pour que le caractère ecclésiastique et spirituel ne disparaisse pas chaque jour davantage des actes de son autorité ? Toutes ces perspectives ont je ne sais quoi d’éblouissant qui trouble et confond la vue de l’esprit ; mais la plus grande confusion qu’elles lui causent, c’est encore la pensée qu’elles soient si tôt devenues possibles.

Nous n’avons pas la prétention de chercher le mot de cette énigme à peu près uniforme qui se trouve ainsi proposée maintenant à tous les coins de l’Europe ; nous tenons uniquement à montrer qu’elle ne pourrait guère se résoudre tout de suite d’une façon trop absolue. Cette étroite unité pour laquelle l’histoire et la nature ont lentement préparé la France, cette unité qui fait le nerf de sa vie intérieure et de sa puissance au dehors, notre unité politique et sociale a séduit toute l’Europe. Il est clair qu’on s’avance de partout vers des destinées analogues aux nôtres, vers un état pareil à celui dans lequel nous sommes installés. On peut pourtant se demander si cette involontaire imitation doit se poursuivre radicalement jusqu’au bout, si cette analogie progressive doit se consommer jusqu’à parfaite ressemblance. Il y a quelque chose dans l’esprit français de tellement sympathique, qu’on peut toujours craindre que les autres nations ne dévient de leur route régulière en cédant à sa propagande. L’unité est sans doute la combinaison suprême de l’intelligence humaine ; il ne faudrait pas admettre cependant avant mûre réflexion qu’il n’y ait qu’une méthode pour la réaliser en politique, et que cette méthode inexorable soit la méthode française. Il n’est peut-être pas mauvais de dépouiller autant que possible le zèle du prosélytisme inhérent à notre espèce gauloise, et d’interroger de sang-froid les destinées des divers membres de la grande famille européenne. On en vient alors à douter un peu que ces destinées puissent aboutir à une parfaite conformité : en les voyant si constamment parallèles, on ne sait pas trop comment elles pourraient ja-