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du capital par eux versé, lequel intérêt leur serait garanti sur le budget ; mais ils ne participeraient aux bénéfices qu’en qualité de travailleurs.

« Dans toute industrie capitale, celle des machines par exemple, ou celle de la soie, ou celle du coton, ou celle de l’imprimerie, il y aurait un atelier social faisant concurrence à l’industrie privée. La lutte serait-elle bien longue ? Non, parce que l’atelier social aurait sur tout atelier individuel l’avantage qui résulte des économies de la vie en commun et d’un mode d’organisation où tous les travailleurs sans exception sont intéressés à produire vite et bien. La lutte serait-elle subversive ? Non, parce que le gouvernement serait toujours à même d’en amortir les effets en empêchant de descendre à un niveau trop bas les produits sortis de ses ateliers. Il se servirait de la concurrence, non pas pour renverser violemment l’industrie particulière, mais pour l’amener à composition…

« Comme une même industrie ne s’exerce pas toujours au même lieu et qu’elle a différens foyers, il y aurait lieu d’établir, entre tous les ateliers appartenant au même genre d’industrie, le système d’association établi dans chaque atelier particulier ; car il serait absurde, après avoir tué la concurrence entre individus, de la laisser subsister entre corporations. Il y aurait donc, dans chaque sphère de travail que le gouvernement serait parvenu à dominer, un atelier central duquel relèveraient tous les autres en qualité d’ateliers supplémentaires. »


Après avoir écrit l’exposé que nous abrégeons ici, M. Louis Blanc jette un regard de satisfaction sur son œuvre et s’applaudit de la simplicité de ses combinaisons. Cette simplicité, si elle existe dans la description, ne s’étend pas assurément à la pratique. Une pareille organisation serait le chaos. Nous n’insisterons pas sur les contradictions dont ce plan fourmille ; nous n’examinerons pas s’il est juste, s’il est logique, quand on a maudit la concurrence, de s’en faire une arme, et une arme destructive, pour ramener violemment toutes les industries dans le giron de l’état. Le procédé aurait évidemment quelque chose d’infernal ; ruiner les gens pour les décider à entrer dans une association qui viserait au monopole industriel, ce serait imiter les dominicains qui préparaient par des auto-da-fé la conversion des hérétiques.

Sans nous arrêter à la raison d’équité, M. Louis Blanc ne voit-il pas que c’est peu d’empêcher à l’intérieur la concurrence entre les ouvriers d’un même atelier et entre les ateliers d’un même peuple, tant que les peuples pourront se faire concurrence entre eux par le génie industriel, par les capitaux et par la main-d’œuvre ? Voilà l’inconvénient de ces systèmes absolus que l’imagination crée de toutes pièces ; ils ne peuvent réussir, tant bien que mal, qu’à la condition vraiment trop problématique d’un consentement universel. M. Louis Blanc prétend faire de notre belle France un couvent industriel ; ce n’est pas encore assez : la règle, pour être observée, doit embrasser toute l’étendue du globe. Tant que la liberté de l’industrie existera quelque part, elle menacera l’industrie cloîtrée de sa concurrence, et la contrebande brisera,