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et compétens, rassureraient l’ouvrier et le maître ; la concurrence deviendrait loyale et n’en serait pas moins libre. Enfin, la division et l’éloignement entraînent une grande perte de ressources, l’association est mère de l’économie et du bien-être ! Encouragez l’association quand elle veut se produire ; construisez aux frais de l’état, pour le travailleur qui en demandera l’entrée, des habitations plus saines et plus commodes, où il trouvera la vie matérielle à meilleur marché et le perfectionnement intellectuel et moral. Employez à ces’ établissemens, dont le produit sera sûr et élevé, l’argent que les travailleurs auront mis de côté pour s’assurer du pain dans leur vieillesse. Faites ainsi un budget du travail qui s’alimentera et se grossira par lui-même ; fondez un réseau d’institutions philanthropiques et paternelles qui prendra l’homme au berceau et le conduira jusqu’à la tombe ; celui qui naîtra pauvre n’aura point à reprocher à la société où il aura vécu d’avoir été pour lui une mauvaise mère. Mais que toutes ces institutions respectent et conservent la liberté, l’indépendance de l’homme ; faites-les réglementaires, non obligatoires ; qu’elles enseignent, mais qu’elles ne contraignent point ; qu’elles soient, en un mot, un frein, non un joug.

Il y a un grand nombre d’hommes, et des meilleurs, pour lesquels la prévoyance, la règle, la monotonie, sont insupportables et mortels. Si une atmosphère calme et tiède suffit à la plupart des organisations, les plus fortes poitrines veulent aspirer un air âpre et libre. Le hasard, l’aventure, la lutte, sont nécessaires à ces natures d’élite, ces êtres privilégiés qui sont les inventeurs et les poètes. Le monde de l’association n’est pas le leur. Platon, qui l’a rêvé, les a chassés de sa république idéale ; Sparte, qui l’a presque réalisé, n’a inscrit le nom d’aucun de ses enfans sur le livre d’or de l’intelligence humaine. Aussi est-ce là le dernier, le plus grave reproche que nous adresserons aux auteurs de cette doctrine monacale de l’association forcée. En faisant de la terre un cloître, de la foule des peuples une communauté de paresseux et de pauvres, non-seulement ils affaibliraient chez tous les hommes le ressort intérieur, mais encore ils exileraient à jamais du monde ceux qui en font la gloire, qui ceignent le front de l’humanité d’une auréole immortelle, ceux qui ont besoin de l’adversité pour se révéler à eux-mêmes, et dont la couronne est toujours tressée d’épines. Après avoir arrêté le mouvement, ils nous raviraient la lumière.


BAILLEUX DE MARIZY.