Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec lequel les démocrates, en abordant l’éducation des masses, ou bien les ont poussées sur une route de violences dont on ne pouvait plus les retirer, ou bien se sont eux-mêmes bercés de théories qui leur ôtaient toute prise sur les auxiliaires dont ils ambitionnaient l’adhésion. Je veux dire plus à fond les erreurs qui ont gâté tous les rapports de la propagande démocratique avec les paysans : ces erreurs ont été la cause des malheurs d’hier, elles seraient peut-être l’écueil du grand jour qui se lèvera demain.

Je tiens d’abord à constater qu’il n’est point une seule partie de la Pologne où la fibre nationale ait encore manqué tout-à-fait chez le paysan, une fibre grossière sans doute, mais solide. L’idée de la démocratie, une fois claire dans ces esprits barbares, donnera probablement un élan plus rapide à leur patriotisme ; mais la notion de la patrie, si confuse et si trouble soit-elle, n’a nulle part cessé d’exister. Les journaux prussiens ont soigneusement signalé l’humeur haineuse de certains paysans qui venaient déposer contre leurs propriétaires dans le procès de Berlin ; ils se sont complu à relever les preuves de désaffection qui ressortaient de ces témoignages. Ils auraient dû tout au moins parler aussi du grand nombre de pauvres gens enfermés avec leurs maîtres dans la prison du Moabite ; ils auraient dû mentionner cette pétition que six mille campagnards envoyèrent au roi pour lui demander la liberté du comte Severin Mielzinski, leur seigneur. De même, en Gallicie, toute la campagne ne marcha pas sous les ordres de Szela, et le comte Wiesiolowski avait pu d’abord réunir une assez grosse troupe de paysans. Ceux des environs de Cracovie se rangèrent, au premier appel, sous le drapeau de la révolution ; ceux du royaume se tenaient prêts ; si on leur eût laissé le temps, ils avaient juré de se lever. Quant au paysan lithuanien, il est tout entier dans cette réponse adressée par l’ancien d’un village à un émissaire qui promettait le partage des terres seigneuriales : « La terre n’est pas à nous, elle est la propriété du seigneur ; ce qui est à nous, c’est la bonne langue polonaise, c’est la bonne religion polonaise, et c’est là ce que le Moskal veut nous prendre. Au diable le schisme et balayons le pays ! »

Ce n’étaient pas, sans doute, de pareils sentimens, aussi naïfs, aussi résignés, qui pouvaient hâter beaucoup le progrès de la démocratie en Pologne, et c’était pourtant de ce progrès, c’était d’une réforme sociale dans les conditions de la propriété que dépendait, comme on l’a vu, tout l’avenir de la régénération polonaise. Malheureusement la démocratie a peut-être encore plus souffert des violences dont elle s’est armée pour accélérer sa tâche, qu’elle ne perdait aux retards dont l’ignorance des masses embarrassait l’œuvre d’affranchissement.

Le langage passionné que j’ai déjà reproché au pamphlet de Mieroslawski contre les aristocrates, ces hyperboles menaçantes que tous les