Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la Volhynie, dans ces provinces « où chaque pierre sait une légende, où chaque brin d’herbe a sa chanson populaire, » la propagande devait être l’office d’un poète, de Vincent Pol. De retour dans sa patrie, après un long exil, Pol s’éloigna d’abord « des enfans pourris des nobles, » et vécut parmi les paysans, qui seuls étaient pour lui « les vrais fils de la Pologne. » Aussitôt cependant que les doctrines démocratiques commencèrent à circuler, il se rapprocha des gentilshommes, les réunit sous son influence et devint l’ame du mouvement. Emporté par l’ardeur de son imagination, il eût voulu tout de suite en venir aux mains ; il faisait ramasser de l’argent et des armes, il demandait des secours aux Hongrois. En même temps ses vers allaient partout provoquer les aspirations les plus violentes vers l’indépendance et l’égalité ; il soulevait à la fois toutes les passions révolutionnaires. La Chanson de notre pays courut sur les lèvres du peuple polonais comme une étincelle électrique qui réveillait en lui le sens endormi de la nationalité. C’est une chanson enthousiaste dans laquelle le poète passe en revue toutes les branches de la famille polonaise, toutes les régions de cette terre sainte, » dépeignant l’une après l’autre les nuances si tranchées qui diversifient le caractère commun. Il faut avoir entendu réciter ces vers-là couplet par couplet dans quelque château solitaire, auprès d’un foyer polonais, au milieu des rires et des pleurs, des malédictions et des embrassemens. Il faut avoir écouté le plus petit enfant de la maison bégayant les derniers mots du poème « Avec ce peuple, Dieu de mes pères, avec ce peuple laisse-moi semer et moissonner, et, si tu ne permets pas qu’avec lui je vive, permets du moins qu’avec lui je combatte, qu’avec lui je meure ! »

L’agitateur du royaume, Édouard Dembowski, est encore un personnage plus original que le précédent. Édouard Dembowski n’a jamais eu qu’une profession, qu’un métier : il était né conspirateur. « Le Polonais du royaume, disait le Russe Nowosilzow, conspire dans le ventre de sa mère. » Il a semblé que Dembowski voulait justifier cette insolente hyperbole. Aristocrate par la race, démocrate par conviction, millionnaire et communiste, patriote et cosmopolite, il fit servir à ses trames toutes les aptitudes qu’il tenait de la nature ou de l’éducation, tout, jusqu’aux idées philosophiques de Feuerbach, dont il était l’adepte, jusqu’à ses amours avec une pauvre fille du peuple, qu’il épousa. Incapable de reculer devant rien, audacieux comme le désespoir, portant légèrement les plus dures épreuves, les plus rudes fatigues, il joua tour à tour, en qualité d’émissaire, les rôles les plus différens avec la même perfection. Sous l’habit grossier du paysan qui fendait du bois dans un coin sauvage des Karpathes, personne n’eût jamais reconnu l’homme du monde qui habitait quelques semaines auparavant les palais de Varsovie. Poursuivi tout à la fois sur le territoire de la Russie,