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manquer de paraître et trop lente et trop pacifique à ces cœurs hardis qui ne croyaient point avoir bien mérité de leur cause, tant qu’ils ne lui avaient pas donné leur sang. Aussi, à Posen, la propagande se changea-t-elle bientôt en conjuration : l’on s’occupa moins d’instruire les paysans que d’acheter des armes et de s’exercer entre gentilshommes aux manœuvres militaires sous prétexte de chasses et de cavalcades. En Russie, d’ailleurs, le fait seul de la propagande constituait un complot vis-à-vis de la police, et là, nécessairement, l’apôtre était un proscrit. Tout échoua donc en 1846, parce que tout éclatait trop tôt. Les paysans trahirent leurs seigneurs, parce que les seigneurs n’avaient point encore assez abaissé les vieilles barrières qui les empêchaient de se rejoindre les uns et les autres au sein d’une patrie commune.

Cette patrie s’enfante, à l’heure qu’il est, dans le même déchirement d’où sortent et la patrie allemande et la patrie italienne. L’universelle commotion de l’Europe va secouer l’intelligence obscurcie du paysan polonais et hâter l’éducation entreprise sans tant d’espoir par les courageux démocrates. Dans un si vaste entraînement, sous l’empire d’une révolution immense comme celle qui s’accomplit autour de nous, on perd trop facilement la trace des efforts individuels : c’est pourtant celle-là que j’aime le mieux à conserver. Si l’on ne s’attachait à faire la part des individus au milieu de ces ébranlemens instinctifs des masses, on serait souvent, en ces momens-là, bien près de penser que le libre arbitre a disparu de l’histoire humaine ; jamais, au contraire, le libre vouloir de l’homme ne s’est produit avec plus d’héroïsme que dans l’œuvre persévérante de la démocratie polonaise.


La propagande n’avait point à se comporter de la même façon sur les différens théâtres qu’elle s’était ouverts ; elle ne trouvait point partout le même sol.

Ce fut, dès l’abord, vers Posen qu’elle dirigea son attention la plus soutenue, et ce fut aussi là qu’elle réussit le mieux. La surveillance prussienne n’était point, à beaucoup près, aussi rigoureuse que celle de l’Autriche ou de la Russie, et, d’autre part, les tentatives de germanisation qui se succédèrent constamment depuis 1815 maintenaient toujours les patriotes en alarme. Ils avaient assez d’inquiétude au sujet de leur nationalité pour ne pas s’endormir sous la domination étrangère, et cette domination était assez commode pour ne pas leur ôter les moyens de lui résister. Posen était le seul morceau de la Pologne où, grâce à la landwehr, il y eût une armée polonaise toute prête et tout équipée. Puis, au milieu des Allemands et des Juifs, il se formait déjà dans Posen un petit noyau de bourgeois polonais qui devaient tôt ou tard servir d’intermédiaire entre le paysan et la noblesse. Enfin, la noblesse elle-même, communiquant sans obstacle avec l’Occident, étudiant aux écoles de l’Allemagne et de la France, était plus mûre qu’en