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entre ses mains, l’examina, et, après un moment,de réflexion « C’est, dit-il, un crâne de la seconde période. », Dans les calculs de cet historien philosophe, la seconde période du peuple français embrasse l’espace de temps contenu de l’an 733 à 966. M. Croizet alla aussitôt chercher sur une des planches de son armoire une pièce de monnaie en argent qu’on avait trouvée dans le tombeau à côté du squelette. C’était un sûr moyen d’expertise. La pièce, d’origine très ancienne, portait, d’un côté, une croix avec ce mot en exergue Aquitania, et, de l’autre côté, Ludovicus Imperator. Or, il n’y a eu de Louis empereur en Aquitaine que Louis-le-Débonnaire, fils de Charlemagne, et qui régnait en 813. M. Frère avait donc rencontré juste. Il crut pouvoir en outre assurer que ce crâne était franc et non auvergnat. L’histoire constate, en effet, que Louis-le-Débonnaire avait emmené quelques Francs à sa cour. — Cette pièce ostéologique fait maintenant partie de la collection que M. Frère a donnée au Muséum d’histoire naturelle ; le crâne est, pour ainsi dire, signé de la médaille.

On entrevoit d’ici l’idée de M. Frère : le progrès social n’est à ses yeux qu’une suite de périodes dont chacune marque son empreinte sur la tête de l’homme. Peut-être n’est-il pas inutile de dire comment l’auteur a été mis sur la voie de cette découverte. Engagé d’abord dans la profession des armes, mais renversé un jour, comme saint Paul sur le chemin de Damas, par le coup de tonnerre de la grace, M. Frère est arrivé à la théologie avec des connaissances très variées. Indépendamment des études mathématiques, familières à son état (M. Frère était officier du génie), il consacra les loisirs d’une jeunesse ardente à la pratique des sciences naturelles. Disciple et ami du docteur Gall, de Spurzheim, de Bichat, il étudia sous ces différens maîtres les fonctions du cerveau et les lois de la physiologie. Entraîné à la suite des courses militaires de l’empire et par sa propre humeur aventureuse, il traversa l’Europe d’une extrémité à l’autre. Cet intrépide voyageur, dominé dès-lors par un esprit d’observation méthodique, trouva dans les mœurs, le caractère national et les formes extérieures des diverses populations, autant de matériaux qui devaient lui servir pour asseoir plus tard les principes de sa philosophie de l’histoire.

Il y a une vingtaine d’années que M. Frère, revêtu du caractère sacerdotal, fut placé à la tête d’une maison d’enseignement. Un fait l’étonna : c’est que les enfans du même âge témoignaient en général les mêmes goûts et les mêmes dispositions d’esprit dans tous leurs exercices. Il examina leur conformation cérébrale, et crut reconnaître chez eux les mêmes protubérances organiques du crâne ; ne perdons pas de vue que M. Frère raisonnait d’après la doctrine de Gall. Ce fut pour lui comme un premier rayon de lumière. Serrant de plus près l’observation des faits naturels, il prétendit découvrir que les caractères physiques