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races barbares sous celle des peuples civilisés. Il y a bien une puissance dans le germe ; mais cette puissance se modifie dans l’état de société sous l’action des nouvelles forces qui substituent l’ordre historique à l’ordre naturel.

Les causes qui tendent à conserver le type sont restreintes et locales. Les pays de forêts, de landes ou de montagnes, qui opposent une limite au croisement ou qui maintiennent la population dans un état stationnaire, protégent l’intégrité des races qui les habitent. La tradition qui place sur les hautes montagnes le berceau de l’humanité consacre un fait général d’ethnologie : après les grandes commotions de la société, c’est toujours des points élevés que les races préservées de la corruption sont descendues pour repeupler et transformer le monde.

Au premier coup d’œil, les causes qui altèrent le type semblent plus nombreuses et plus actives que celles qui le conservent. S’il en était ainsi, les caractères des races seraient bientôt confondus ; mais l’expérience démontre que cette action perturbatrice rencontre des limites. L’ethnologiste qui tient à isoler les divers élémens d’une population doit additionner l’ensemble des caractères primitifs de chaque race et la somme des caractères subséquens qu’elle a revêtus par suite du développement de la civilisation. Les premiers font reconnaître la race, les seconds nous disent son âge, et, par un phénomène assez bizarre, ceux-ci tendent à se préciser en raison inverse de ceux-là. En d’autres termes, les caractères primitifs d’une race, c’est-à-dire la couleur des yeux, des cheveux et du visage, ne persistent pas toujours intégralement dans les endroits où la population est trop mêlée ; les caractères qui indiquent l’âge d’une race, c’est-à-dire les formes de la tête, peuvent, au contraire, être consultés toujours avec une entière confiance. M. l’abbé Frère a révélé cette loi, et, ce qui vaut encore mieux, il a mis une telle loi à l’épreuve des faits.

Dans une des parties les plus agrestes de l’Auvergne s’élève le petit village de Neschers, où demeure un curé géologue, dont le nom n’est point étranger aux savans du Jardin des Plantes, M. Croizet. Autour de ce village s’étendent d’immenses carrières, d’où l’on retire chaque jour des ossemens fossiles, débris des âges primitifs de la nature. A côté des pièces curieuses de la collection antédiluvienne formée par M. Croizet, figurait un crâne trouvé à Aigueperse dans un tombeau. M. Frère, visitant il y a quelques années le musée de M. Croizet, fut amené à exposer de vive voix sa théorie sur les périodes sociales et sur les moyens de reconnaître, à l’inspection de la tête, les caractères de l’âge historique des peuples. Le curé de Neschers accueillit cette doctrine avec un sourire de demi-incrédulité, et pour contrôler des assertions qui lui paraissaient hasardées, il invita M. Frère à essayer son diagnostic sur le crâne découvert à Aigueperse. M. Frère prit cette tête décharnée