Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/978

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rome, il y passa sous des arcs de triomphe, il monta au Capitole au milieu des acclamations du peuple. Mais, en vérité, ce serait une témérité bien inutile que de refaire un récit qui, sous la plume de l’historien de la conquête de Naples, a un si douloureux attrait. C’est dans son neuvième livre qu’il faut se donner le spectacle de la bataille d’Alba, où les conseils et le stratagème du connétable de Champagne, Érard de Valéry, procurent la victoire au frère de saint Louis, puis de la fuite de Conradin, de son procès, enfin de son supplice auquel assista Charles d’Anjou. La tragédie est complète ; tout concourt à un effet extraordinaire et déchirant, l’éclat de la catastrophe, l’illustration de la victime, la grandeur des intérêts et des partis qui se faisaient la guerre, la jeunesse du vaincu, l’inflexibilité du vainqueur. Sans remords, avec la pleine conviction de la justice de sa cause, Charles d’Anjou traita Conradin comme un brigand qui avait voulu lui voler sa couronne. M. de Saint-Priest, en condamnant au nom de l’humanité l’immolation de Conradin, énumère les raisons qui faisaient de sa mort une nécessité politique pour Charles d’Anjou. Sans doute l’intérêt n’était pas contestable, mais sur l’esprit de Charles l’idée du droit fut plus puissante encore. S’armer contre lui, n’était-ce pas non-seulement offenser un roi, mais insulter l’église, le pape et Dieu ? Telle est la pensée qu’il exprima sur le champ de bataille d’Alba dans une lettre écrite au pape pendant la nuit qui suivit la victoire. En le dominant, cette pensée donna au vainqueur de Conradin, dans la consommation de sa vengeance, une sérénité atroce.

La fortune avait prononcé d’une façon décisive entre les guelfes et les gibelins. La cause de l’empereur et l’influence de l’Allemagne en Italie étaient abaissées, tandis que le parti guelfe déterminait les villes lombardes à reconnaître le protectorat ou du moins à accepter l’alliance du puissant roi de Naples. Désormais il n’y avait plus d’entreprise qui fût au-dessus des forces et de la renommée du fondateur de la dynastie angevine. Charles d’Anjou put reprendre alors un vaste projet que la descente de Conradin en Italie avait interrompu et qui se rattachait à l’un des plus remarquables événemens du commencement du XIIIe siècle, à la conquête de Constantinople par les Latins, dont la domination éphémère ne dura pas plus de soixante ans. L’idée politique qui avait conduit les Latins à Byzance ne manquait ni de grandeur ni de justesse. Dès la fin du XIIe siècle, on était convaincu en Europe de l’inutilité des croisades tant qu’elles se borneraient à des promenades militaires en Syrie et à de stériles prouesses. On comprenait qu’il fallait s’établir en Grèce et dans les contrées qui devaient plus tard s’appeler la Turquie, et qu’alors seulement il serait possible de conquérir d’une manière durable la Terre-Sainte. Charles d’Anjou se crut prédestiné à faire réussir un pareil plan, quand, par la mort de Conradin, il se vit