Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/975

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poussant sa fortune à travers tous les contre-temps et tous les mécomptes, enfin réussissant, en dépit de tous les obstacles, à mettre sur sa tête la couronne de Sicile ! Les traits de ce personnage, l’éclat de sa jeunesse, l’éducation qu’il reçut de son père l’empereur Frédéric, un tempérament de feu joint à la dissimulation la plus profonde, M. de Saint-Priest a su rendre tout cela avec beaucoup de vérité. Peu de romans offrent autant d’intérêt que ce morceau d’histoire. Où trouver aussi des choses se prêtant mieux aux effets pittoresques que les différens aspects de l’Italie à cette époque, et notamment les Sarrasins de Lucera ? C’était une colonie musulmane fondée par Frédéric II. A Lucera, l’empereur avait mis son arsenal, son trésor et son harem, et il y avait concentré soixante mille Sarrasins, qu’il regardait comme ses meilleurs amis. C’était à bon droit, car ils le servirent après sa mort en mettant son fils Mainfrov sur le trône. Devenu roi, c’était encore avec les Sarrasins que Mainfroy faisait trembler le pape, qui, du haut des tours de Civita-Vecchia, pouvait voir leurs incursions et leurs ravages dans la campagne de Rome. C’est alors qu’Urbain IV déclara devant le sacré collège que de tous les princes catholiques le comte d’Anjou et de Provence était le seul qui pût servir efficacement la liberté de l’église menacée par l’hérétique Mainfroy, c’est-à-dire qu’il ouvrait la lice, et qu’il y appelait un chevalier français pour un combat à outrance contre le représentant italien de la maison de Souabe. C’était une phase nouvelle de la lutte des guelfes et des gibelins.

Jamais la papauté n’avait disposé d’une couronne d’une façon plus éclatante. Ce n’était pas d’ailleurs la première fois qu’elle offrait le trône de Naples à un des puissans princes de la chrétienté. Déjà Innocent IV avait proposé la couronne des Deux-Siciles, tantôt à Richard, comte de Cornouailles, frère d’Henri III, roi d’Angleterre, tantôt à ce même Charles d’Anjou, auquel quelques années après le saint-siège faisait des ouvertures nouvelles. Ni le frère d’Henri III, ni le frère de saint Louis n’acceptèrent un trône dont la conquête paraissait alors si incertaine. Cependant Innocent IV, qui désirait ardemment opposer à la maison de Souabe un roi qui fût son ouvrage, sa créature, proposa au roi d’Angleterre de couronner le jeune Edmond, le second de ses fils. Edmond prit le titre de roi des Deux-Siciles, mais il ne mit jamais le pied en Italie, et les barons anglais, qui s’occupaient alors d’obtenir la confirmation de la grande charte et de fonder les droits du parlement, refusèrent les subsides qu’Henri III leur demandait. A leurs yeux, l’entreprise était téméraire et chimérique. Après avoir constaté l’impuissance de la couronne d’Angleterre, Urbain IV se tourna de nouveau vers la maison de France, dont le chef était alors en Europe comme l’arbitre souverain des peuples et des rois. M. de Saint-Priest a raison de remarquer que la justice d’une cause désapprouvée par Louis IX