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faveurs du roi, n’ignorant pas la situation de sa belle-soeur à la cour.

Quelque indignation, quelque dégoût qu’on éprouve au récit de ces exécutions continuelles, il est impossible de les attribuer à une férocité irréfléchie, à cette cruauté de tempérament que la plupart des historiens prêtent à don Pèdre pour expliquer tant de meurtres ordonnés, exécutés coup sur coup. Ils me semblent plutôt la conséquence fatale de l’ambition du roi, aux prises avec les mœurs de son époque. Le trait principal de son caractère est un violent amour de la domination, toujours soupçonneux, toujours inquiet, excusable peut-être jusqu’à un certain point dans un prince du moyen-âge, qui, long-temps témoin des maux de l’anarchie, avait fini par ériger son despotisme en une mission surhumaine pour régénérer son pays. Souvent trahi, dupe des sermens les plus solennels, il s’était accoutumé à préjuger la trahison dans tout ce qui l’entourait et à punir avant d’avoir vérifié le crime. La conscience d’un grand dessein lui faisait regarder comme justice ses rigueurs contre toute désobéissance à ses volontés. Dans ce temps malheureux, cette confusion de mots et d’idées était acceptée par les peuples eux-mêmes que l’ambition des seigneurs féodaux exposait sans cesse aux malheurs de la guerre civile. Tuer un riche-homme, c’était, pour le vulgaire, faire justice ; c’était punir à bon droit. Don Pèdre aussi se glorifiait de faire justice ; mais, comme tous les despotes, il croyait la désobéissance le plus grand des crimes. Quiconque hésitait dans l’accomplissement de ses ordres était un traître, et sa tête était dévouée. Peut-être la conduite de Gutier Fernandez et de Gomez Carrillo fut-elle toujours loyale, mais les apparences étaient contre eux. L’un et l’autre avaient entretenu des relations avec des hommes que leur maître avait proscrits et qui notoirement travaillaient à séduire ses vassaux. Il n’en fallait pas davantage pour faire soupçonner une trahison, et un soupçon de don Pèdre était un arrêt de mort. Accoutumé à voir couler le sang, comme un chevalier de son époque, à compter la vie des hommes pour peu de chose, comme la plupart de ses compatriotes, il se mettait sans doute médiocrement en peine pour convertir ses soupçons en preuves. Les rois se croient des lumières supérieures à celles des autres hommes, et don Pèdre, sans doute, se croyait infaillible. J’oserai dire cependant que ce n’était pas sans la conviction de son bon droit qu’il commandait les supplices, conviction trop facilement acquise, sans doute, mais réfléchie pourtant et sincère. Il s’appliquait de bonne foi à distinguer l’innocent du coupable, et, au XIVe siècle, c’était beaucoup pour un despote. Alors c’était la coutume que tous les parens d’un rebelle fussent enveloppés dans son châtiment, et l’on ne s’étonnait pas de voir des enfans traînés sur l’échafaud de leur père. Don Pèdre n’imita point ces cruautés aveugles. Rien ne prouve mieux ses sentimens de justice,