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de nationalité, et, si ces provinces étaient réduites à opter entre la perte du débouché français et une réunion territoriale avec la France, leur première réponse pourrait bien être l’insurrection. Le vrai danger, le seul danger qui puisse menacer l’intégrité nationale de la Belgique est donc dans un système d’alliances qui n’aurait pas l’union douanière franco-belge pour point de départ ou pour but.

On a parlé d’efforts que faisait la Prusse pour ameuter contre nous, dans les Flandres, les susceptibilités de l’esprit de race, qu’elle espère, de son côté, se rattacher par les souvenirs de l’antique communauté germanique. Ces efforts sont réels. Ainsi, à l’avènement de M. Rogier, qui, Wallon lui-même, se trouve n’avoir, je l’ai dit, pour collègues que des Wallons et un Français naturalisé, plusieurs feuilles allemandes, entr’autres la Gazette de Dusseldorf, l’Observateur rhénan, la Gazette d’Elberfeld, se sont bruyamment apitoyées sur l’envahissement des Fransquillons, sobriquet injurieux appliqué par les Flamands aux Wallons, et par les Wallons aux Français. En Belgique, le Vlaemsche Belgie, fondé vers 1844 par M. d’Arnim, alors ministre de Prusse à Bruxelles, et le Broederhand, petite revue également patronée par la Prusse, secondent cette tactique en prêchant, l’une la fusion des intérêts commerciaux, l’autre la fusion des langues entre les Flandres et le Zollverein. M. d’Arnim lui-même a écrit une brochure très remarquable[1] pour établir à sa manière que les Flandres n’ont d’affinité morale et matérielle qu’avec l’Allemagne, et qu’elles sont foncièrement antipathiques à l’alliance française, désirée tout au plus par la petite minorité wallone, ce qui était, par parenthèse, une double contre-vérité. Aux raisonnemens se mêlent les agaceries. Un jour, c’est quelque littérateur flamand que sa majesté prussienne fait complimenter par M. de Humboldt ; un autre jour, un pompeux arrêté enjoignant à la bibliothèque royale de Berlin de former un fonds pour l’étude de la littérature flamande. Pas un faible, pas une nuance de l’esprit local qui échappe à cette propagande minutieuse et continue. La musique est aussi de la partie. Un splendide festival appelait en 1846 à Cologne les sociétés philharmoniques de Belgique, et les frères de Flandre ont dû s’y débattre, quatre ou cinq jours durant, contre toutes sortes de séductions. Devises insinuantes, emblèmes entrelacés, toasts brûlans à la patrie commune, le roi des Belges proclamé bon Allemand au choc enthousiaste des verres, le Rhin mariant son nom à celui de l’Escaut dans un chœur de cinquante mille voix, tout trahissait à chaque pas des préoccupations passablement étrangères au but officiel de la fête, et la présence évidemment calculée d’une députation du Holstein, accourue là comme à un

  1. Ein Handelspolitisches Testament. Berlin, 1846.