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suffiraient tout au plus à couvrir les frais généraux des nombreuses agences que ce système comporterait. En outre, la perte d’intérêts et les frais de transport résultant de trajets d’un, de deux, de trois mois iraient s’ajouter, sur ces marchés, au prix intrinsèque de la toile à la main et agrandir encore la distance qui sépare ce produit de la consommation moyenne. Poser ainsi la difficulté, c’est la résoudre. La Belgique, pour ne pas faire fausse route, n’a précisément qu’à chercher le débouché qui s’éloigne le plus de ces conditions, c’est-à-dire un débouché qui soit tout à la fois assez voisin pour que les frais et la durée des transports influent le moins possible sur les prix de vente, — assez initié déjà à la consommation des toiles à la main pour que cette consommation puisse s’y recommander par elle-même et sans le secours d’agences spéciales, — assez peuplé enfin pour que la vente probable de ces toiles, sans dépasser même les faibles proportions qui lui sont ordinairement assignées dans la consommation générale, y laisse cependant une marge suffisante aux expéditions en grand. Ce débouché, ce ne peut être ni la Grande-Bretagne, qui, par l’Irlande, exclut les fils et toiles à la main de l’étranger ; ni la Prusse, qui a déjà ses Flandres à elle dans la Silésie[1] ; ni la Hollande même, où la concurrence anglaise et prussienne interdit à la Belgique tout progrès. Reste un pays qui, avec des conditions de proximité équivalentes, meilleures même, réunit toutes celles qui font défaut à l’Angleterre, à la Prusse et aux Pays-Bas ; un pays plus peuplé à lui seul que ces trois centres commerciaux ensemble, un pays qui est déjà le marché le plus considérable des toiles belges, et qui, de l’aveu même de la Belgique[2], prend les neuf dixièmes des toiles qu’elle nous fournit au travail à la main. Ce pays, le cri presque unanime des Flandres l’a déjà nommé, c’est la France.

Or, que peut nous offrir la Belgique en échange du retrait des entraves qui gênent encore chez nous son importation linière ? Sera-ce le partage du monopole maritime qu’elle a livré à la Prusse et aux Pays-Bas, ou bien le partage de la franchise absolue de transit obtenue par la première de ces puissances ? Nous n’en avons que faire. Sera-ce une réduction sur nos vins, nos soieries, nos ouvrages de mode, qu’un tarif modéré a naturalisés dans la consommation belge, et qui, plus spécialement favorisés, s’y feraient une large place ? Mais la Belgique, en étendant aux similaires du Zollverein le bénéfice de cette modération de tarif, que nous avions nous-mêmes bel et bien achetée, ne s’est laissé

  1. Il résulte d’une enquête faite en Silésie, vers 1844, que le salaire des tisserands flotte dans cette province entre 35 centimes et 16 centimes par jour, celui du fileur de lin entre 18 et 20 centimes, et celui du fileur d’étoupe entre 25 et 60 centimes par semaine. La misère qui atteint surtout cette dernière classe est inexprimable.
  2. Rapport présenté, en 1846, à la chambre des représentans par M. Desmaisières au nom de la commission chargée d’examiner le projet d’une société d’exportation.