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de leur unique industrie, dont ils perdraient l’emploi dans le loisirs de la vie de rentier. C’est donc par l’agglomération des petites propriétés que le clergé, soit directement, soit par contre-coup, a dû constituer son action territoriale. Or, on s’accorde à attribuer, dans les districts liniers surtout, à cette absorption graduelle de la petite propriété, l’extension démesurée que prend chaque jour le chiffre de la population indigente.

La vieille industrie linière était jusqu’à ces derniers temps intimement liée au travail agricole ; l’ouvrier filait et tissait le lin qu’il récoltait dans son propre champ. Écrasées peu à peu par la concurrence de l’industrie mécanique, les familles vouées à cette triple occupation se sont vu réduites à se créer des ressources précaires et momentanées en faisant argent du seul élément aliénable de leur revenu, c’est-à-dire de leur coin de terre. Les ordres religieux sont venus à point pour s’emparer de ces tendances, pour les surexciter par l’appât d’une vente facile, et c’est ainsi que, dans certains cantons, le nombre des cotes foncières a diminué en vingt ans dans l’énorme proportion de cent à cinquante-trois. Ce schisme de deux productions qui se prêtaient un mutuel appui a engendré pour la filature et le tissage à la main une succession rapide de nouveaux mécomptes. Forcés d’acheter la matière première qu’autrefois ils produisaient eux-mêmes, les ouvriers liniers ont dû fabriquer plus chèrement, en même temps que l’encombrement, la concurrence résultant d’une fabrication plus continue et à laquelle le travail agricole ne venait plus faire diversion, les amenaient fatalement à baisser leurs prix. De là, nouvelle gêne, et, à sa suite, les emprunts usuraires, les achats de matières premières à crédit. Puis, la matière première même est devenue plus rare, détournée qu’elle était vers les placemens moins fractionnés et plus sûrs que lui offraient l’industrie mécanique indigène et l’exportation. Cette rareté s’est traduite par des interruptions, des irrégularités de travail qui ont fini par décourager les commandes directes du commerce, et livré à l’intermédiaire onéreux des courtiers ambulans les derniers moyens d’existence de près de quatre cent mille ouvriers, dont les salaires sont descendus jusqu’à 30 centimes pour les tisserands, et jusqu’à 12 centimes pour les fileuses.

Voilà les faits et les chiffres que le ministère de Theux s’est donné, sans le vouloir, la triste mission d’évoquer. Les couvens et la politique ; qui les a servis ne pressentaient pas sans doute ces résultats de leur domination ; mais il y a pour les influences qui tombent des heures d’impopularité où les masses viennent leur demander compte même de l’imprévu. C’est le cas du parti catholique. Maître absolu de la situation pendant seize ans, il en a, aux yeux de celles-ci, la responsabilité absolue, et tout, loin de là, n’est pas exagéré dans ce sévère jugement. Le bilan économique des catholiques belges peut se résumer