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après un brillant combat. Le roi, depuis l’insulte faite à son pavillon par Perellòs, ne voulait plus voir que des pirates dans les marins aragonais. Il les fit traiter comme tels. Le capitaine des quatre galères, gentilhomme valencien, camerlingue du roi d’Aragon, fut mis à mort, et, avec lui, une partie de ses équipages[1].


IV.

Alphonse, roi de Portugal, grand-père de don Pèdre, était mort l’année précédente, laissant la couronne à son fils, Pierre Ier. L’alliance entre les deux royaumes en était devenue plus intime. Étroitement lié par le sang et la politique avec don Pèdre, le nouveau souverain du Portugal avait avec lui une conformité de caractère et de plans qui devait les rapprocher encore. Comme son neveu, il avait été outragé, trahi par ses riches-hommes, et comme lui il avait conçu le dessein de les réduire dès que la force serait entre ses mains. Altier, impérieux, implacable dans ses ressentimens, féroce dans ses vengeances, il reçut les mêmes surnoms qu’avait mérités son homonyme de Castille. Pour la noblesse qu’il décima, il fut Pierre-le-Cruel ; Pierre-le-Justicier pour le peuple dont il punit souvent les oppresseurs.

« Comme s’il eût craint de manquer de bourreaux, dit un chroniqueur portugais, et pour n’être pas pris au dépourvu, il en menait un à sa suite dans tous ses voyages. On le vit souvent donner lui-même la question et fouetter de sa main les coupables ou les accusés. Il portait un fouet à la ceinture pour l’avoir toujours prêt et n’avoir pas la peine de le chercher[2]. » Tel était le nouveau roi de Portugal. Qui ne connaît la tragique histoire d’Inès de Castro, sa maîtresse chérie ? Quelques seigneurs jaloux du crédit que l’amour de Pierre, alors infant de Portugal, donnait aux parens d’Inès, arrachèrent son arrêt de mort au roi don Alphonse, et se firent eux-mêmes ses bourreaux[3]. Bien que l’infant eût solennellement juré de renoncer à la vengeance, les meurtriers d’Inès se hâtèrent de chercher un refuge en Castille, dès qu’il monta sur le trône. Mais cet asile était mal choisi. Le roi de Portugal,

  1. Ces cruautés amenèrent des représailles. Le roi d’Aragon écrivait de Barcelone, le 13 septembre 1360, au comte de Trastamare pour lui demander Henri Lopez de Orosco, chevalier castillan, son prisonnier. Par une lettre du même jour, il ordonnait à Jordan de Urriès de faire décapiter Orozco dès que le Comte l’aurait remis entre ses mains. Je n’ai pu savoir si cet ordre cruel avait reçu son exécution. Arc. gen. de Ar., reg. 1170 Sigilli secreti, p. 182.
  2. Na cinta trazia sempre o açoute por nâo haver dilaçào em o buscar. — Duarte do Liao. Chronicas dos rets de Portugal, t. II, p. 199.
  3. Camoens.
    Contra una dama, o peitos carniceiros
    Feros vos mostraïs, è cavalleiros ?
    Lusiad., carat. III, st. 130.