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Qui pourrait nier d’ailleurs que Dickens ne soit amusant ? Trop souvent peut-être sa verve comique dégénère en bouffonnerie et prend les allures de la farce ; mais aussi que d’occasions où l’hilarité qu’il provoque est de bon aloi ! Nous ne sommes pas de ceux qui professent une très vive admiration pour les personnages, si populaires chez nos voisins, de Sairey Gamp, Sam Weller, Mark Tapley, et les mille reproductions sous d’autres noms du même type ; mais il est, parmi les caractères secondaires de Dickens, une figure qui nous a toujours paru charmante, et surtout, pour parler la langue d’aujourd’hui, d’une grande actualité : c’est celle du charlatan de société, qui se croirait déshonoré s’il ne prétendait à tout, et dont la vie entière se passe à trembler de peur qu’on ne prenne ses prétentions au mot. M. Winkle, le Nemrod qui, à la seule vue d’une capsule, pense défaillir, le patineur qui tombe à son premier pas sur la glace, le fumeur qu’une cigarette étendrait sur le carreau, l’homme pacifique, le mouton par excellence dont chaque parole est dictée par l’idée fixe de cette crânerie qu’il se persuade devoir afficher, M. Winkle personnifie d’une façon fort peu exagérée un travers de notre temps, lequel fait consister la honte non dans ce qu’on n’est point, mais dans ce qu’on ne sait point paraître. C’est tout le contraire du modeste et naïf Tom Pinch, le véritable héros de Martin Chuzzlewit. Tom croit en tout, hormis en lui-même. Aucune des cafarderies de M. Pecksniff (le plus parfait de tous ces Tartufes de bas étage que Dickens, ainsi que nous l’avons déjà dit, a dérobés au Peachum de Gay), aucune ne réveille chez Tom Pinch l’ombre du doute le plus léger. M. Pecksniff l’accable d’injustes reproches, et Tom se prend de la meilleure foi du monde pour un coquin ; M. Pecksniff l’exploite, le harcèle, le tourmente, et Tom ne cesse de parler de l’air le plus naturel de son bonheur, et de chanter sur tous les tons possibles son invariable good luck. Si Tom ne possédait une intelligence fort supérieure, on pourrait l’appeler une dupe, mais c’est là un mot qu’on ne saurait prononcer à propos de l’humble organiste du Wiltshire, esprit droit, tête rêveuse, cœur simple, doué d’une cécité absolue à l’endroit de tout ce qui n’est pas aimable. Ah ! pauvre et sublime Tom Pinch, être patient et dévoué, lorsque tu parus dans ton adorable crédulité, combien il dut s’élever de joie dans l’ame de ton frère en Jean-Paul, Maria Wuz ! Ni Richter, ni Sterne n’ont rien conçu de plus touchant. On ne saurait, du reste, tenir de l’un des deux sans avoir de la ressemblance avec l’autre, et certaines affinités entre Sterne et Dickens sont aussi évidentes que celles que nous signalions plus haut entre l’auteur de Chuzzlewit et Jean-Paul. Sans parler de Berthe, l’aveugle du Cricket on the Hearth, véritable émanation d’un cerveau de poète, il existe un passage du livre sur l’Italie qui rappelle tout-à-fait le fameux Franciscain du Sentimental Journey. Nous voulons parler de ce pauvre