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quelque sorte la scène, les vagues, les éternelles et murmurantes vagues.

Les deux personnages les plus remarquables et les plus originaux du nouveau roman de Dickens sont, sans contredit, le fils Dombey et mistriss Skewton. Lorsque l’enfant sur lequel reposaient toutes ses espérances n’est plus, M. Dombey se décide à se marier une seconde fois. C’est une jeune veuve, Édith Granger, qu’il choisit pour porter l’insigne honneur de se nommer mistress Dombey. Édith, belle, jeune et fière, a toute sa vie subi le joug d’une de ces épouvantables mères comme il s’en trouve tant dans la société anglaise. Mme Skewton appartient à une famille aristocratique ; elle s’est vue célèbre pour sa beauté, et, dans sa hideuse vieillesse, ne peut oublier le nom de Cléopâtre que lui ont valu ses triomphes d’autrefois.

C’est un des grands mérites de Dickens d’effleurer çà et là les questions sociales et d’en faire, sans prétention, comprendre la profondeur. Lorsque, dans le Cricket on the Hearth, John Peerybingle discute avec lui-même la nécessité de chasser l’épouse qu’il croit infidèle, et que la voix du grillon s’élève de l’âtre pour lui rappeler la douce paix du foyer, et toutes les joies de ce petit univers domestique dont sa femme est comme le génie ordonnateur, l’écrivain nous force, malgré nous, à étudier certains problèmes des plus difficiles de notre société civilisée, tout en n’ayant l’air que de nous intéresser à un conte bleu. C’est en cela surtout que Dickens a du rapport avec Jean-Paul. Que de fois en le lisant nous avons pensé à la préface de Quintus Fixlein et à cette jeune fiancée d’un vieillard dont l’ignorante sérénité fait pleurer de tristesse son compagnon de voyage ! Molière est le suprême maître du genre, et qu’on ne s’effarouche pas de ce rapprochement entre le poète du siècle de Louis XIV et le philosophe de Baireuth : pour qui les connaît tous deux à fond, l’analogie est plus réelle qu’on ne le pense, et pour s’en persuader il suffit de lire l’École des femmes et Georges Dandin. Eh bien ! le procès que fait Angélique aux mariages de convenance, dans une scène où les neuf dixièmes des spectateurs trouvent à rire, Dickens, sous des dehors bien plus frivoles encore, le fait par Mme Skewton et sa fille au système d’éducation à la mode en Angleterre. Quoi de plus affligeant en effet, la plupart du temps, que les rapports de mère et de fille dans la vie fashionable de Londres ? De toutes les monstrueuses anomalies qui vous frappent dans la société britannique, il n’en est aucune, à mon avis, qui doive vous choquer davantage que cette réunion d’une jeunesse sans pudeur et d’une vieillesse sans dignité. Hâtons-nous de le dire pourtant, et constatons-le bien : nous entendons ici parler uniquement de ce qui se passe dans cette société, plus factice à Londres que partout ailleurs, dans la société aristocratique,